Excalibur
l’ordure, mais je fis un autre pas, tout frissonnant, et passai
le bras autour de ses épaules minces. Elle sentait le miel et les cendres. « Tu
veux que Ceinwyn vive ? me chuchota-t-elle à l’oreille.
— Oui.
— Alors,
viens avec moi, me répondit-elle dans un murmure, et elle se dégagea de mon
étreinte. Maintenant, répéta-t-elle en voyant mon hésitation.
— Laisse-moi
prendre une cape et mon épée.
— Tu n’auras
pas besoin d’épée là où nous allons, Seigneur Derfel, et tu pourras partager ma
cape. Viens sur-le-champ, ou laisse souffrir ta Dame. » Sur ces mots, elle
se retourna et sortit de la cour.
« Allez !
m’exhorta Taliesin. Allez ! »
Galahad fit
mine de m’accompagner, mais la femme se retourna au portail et lui ordonna de
retourner. « Le seigneur Derfel vient seul, ou il ne vient pas du tout. »
Ainsi je
partis vers le nord, avec la mort, dans les ténèbres.
*
Nous marchâmes
toute la nuit, si bien qu’à l’aube nous nous retrouvâmes au pied des monts, et
elle continua résolument, choisissant des sentiers qui nous menèrent loin de
toute habitation. Celle qui s’était présentée comme la Danseuse marchait pieds
nus et gambadait, comme si elle était pleine d’une joie débordante. Une heure
après l’aube, quand le soleil inonda les sommets d’un or nouveau, elle s’arrêta
à côté d’un petit lac, se lava le visage et se frotta les joues avec des
poignées d’herbe pour ôter le mélange de miel et de cendres qui blanchissait sa
peau. Jusqu’à ce moment, je n’avais pas su si elle était jeune ou âgée, mais je
vis alors que c’était une femme d’une vingtaine d’années, et très belle. Elle
avait un visage fin, plein de vie, des yeux joyeux, et un sourire vif. Elle était
consciente de sa beauté et rit en voyant que moi aussi, j’en étais frappé. « Veux-tu
coucher avec moi, Seigneur Derfel ? demanda-t-elle.
— Non.
— Si cela
devait guérir Ceinwyn, coucherais-tu avec moi ?
— Oui.
— Mais
cela ne la guérirait pas, dit-elle, cela ne la guérirait pas ! » Elle
rit et courut devant moi en laissant tomber sa lourde cape pour révéler une
fine robe de lin épousant étroitement son corps souple. « Tu te souviens
de moi ? demanda-t-elle en se retournant.
— Le
devrais-je ?
— Moi, je
me souviens de toi, Seigneur Derfel. Tu regardais mon corps comme un homme
affamé, et tu l’étais, affamé. Tellement affamé. Tu te souviens ? »
Là-dessus, elle ferma les yeux et revint vers moi sur le sentier de chèvre en
levant haut les pieds et en pointant ses orteils vers le sol avec précision, et
aussitôt, je me souvins d’elle. C’était la fille dont la peau nue avait brillé
dans les ténèbres de Merlin. « Tu es Olwen, dis-je, son nom me revenant du
passé. Olwen l’Argentée.
— Alors
tu te souviens de moi. Je suis plus âgée maintenant. Olwen la Nubile. »
Elle rit. « Viens, Seigneur ! Apporte la cape.
— Où
allons-nous ?
— Loin,
Seigneur, loin. Là où se lèvent les vents, où commencent les pluies, où
naissent les brumes et où aucun roi ne gouverne. » Elle dansait sur le
chemin avec une énergie qui semblait inépuisable. Tout le jour, elle dansa, et
tout le jour, elle me dit des choses sans queue ni tête. Je pense qu’elle était
folle. Une fois, comme nous traversions une petite vallée où les arbres aux
feuilles argentées frissonnaient dans la brise légère, elle ôta sa robe et
dansa nue dans l’herbe ; elle le fit pour m’exciter et me tenter, et comme
je continuais à marcher avec ténacité et ne montrais aucune faim d’elle, elle
se contenta de rire, jeta sa robe sur ses épaules et marcha à côté de moi comme
si sa nudité n’était pas chose étrange. « C’est moi qui ai apporté la
malédiction sur ton foyer, me dit-elle fièrement.
— Pourquoi ?
— Parce
qu’il devait en être ainsi, bien sûr, répliqua-t-elle avec une sincérité apparente,
tout comme il faut qu’elle soit dissipée aujourd’hui ! C’est pourquoi nous
nous rendons dans les montagnes, Seigneur.
— Chez
Nimue ? demandai-je, sachant déjà, comme je l’avais su dès qu’Olwen était
apparue dans la cour, que c’était vers elle que nous allions.
— Chez
Nimue, oui. Tu comprends, Seigneur, le temps est venu.
— Quel
temps ?
— Celui
de la fin de toutes choses, bien entendu. » Olwen me fourra sa robe dans
les bras, pour que rien ne l’encombre.
Weitere Kostenlose Bücher