Excalibur
Des yeux pâles,
sans pitié, les yeux d’un tueur.
Aelle
paraissait trop étonné pour parler. Il était beaucoup plus âgé que Cerdic,
ayant dépassé la cinquantaine d’un an ou deux, ce qui faisait de lui un vieil
homme, mais il semblait toujours redoutable. Grand, la poitrine large, le
visage plat et dur, le nez cassé, les joues balafrées, la barbe noire et fournie,
il portait une belle robe écarlate, un épais torque d’or au cou et davantage d’or
aux poignets, mais aucune parure ne pouvait dissimuler le fait que c’était d’abord
et avant tout un soldat, un grand ours de guerrier saxon. Deux doigts lui
manquaient à la main droite, tranchés lors d’une bataille très ancienne et j’imaginais
qu’il avait dû en faire chèrement payer la perte. Il parla enfin. « Tu
oses venir ici ?
— Pour
vous voir, Seigneur Roi », répondis-je et je mis un genou en terre. Je
saluai Aelle, puis Cerdic, mais pas Lancelot. Pour moi, il ne représentait rien
qu’un roi client de Cerdic, un élégant traître breton dont le visage sombre
exsudait la haine que je lui inspirais.
Cerdic
embrocha un morceau de viande sur un long couteau, le porta à sa bouche, puis
hésita. « Nous ne recevons aucun messager d’Arthur, dit-il comme en
passant, et ceux qui seraient assez stupides pour venir, nous les tuons. »
Il mit la viande dans sa bouche, puis se détourna, ayant disposé de moi comme d’une
petite affaire triviale. Ses hommes réclamèrent ma mort à grands cris.
Aelle imposa
de nouveau le silence en frappant la table de son épée. « Viens-tu de la
part d’Arthur ? » me défia-t-il.
Je décidai que
les Dieux me pardonneraient une contrevérité. « Je vous apporte les salutations
d’Erce, Seigneur Roi, et le respect filial de son fils qui est aussi, à sa
grande joie, le vôtre. »
Cela ne
signifiait rien pour Cerdic. Lancelot, qui avait écouté la traduction, chuchota
de nouveau d’un air pressant à son interprète, et l’homme parla une fois de
plus à Cerdic. Je ne doutais pas qu’il eût inspiré les paroles que ce dernier
proféra alors. « Il doit mourir », insista-t-il. Il parla très
calmement, comme si ma mort était un petit détail. « Nous avons conclu un
accord, rappela-t-il à Aelle.
— Notre
accord dit que nous ne recevrons aucun envoyé de notre ennemi, répondit Aelle,
les yeux toujours fixés sur moi.
— Et qu’est-il
d’autre ? demanda Cerdic, laissant enfin libre cours à sa colère.
— C’est
mon fils, répondit simplement Aelle, et tous ceux présents dans la salle en
eurent le souffle coupé. Tu es mon fils, n’est-ce pas ?
— Je le
suis, Seigneur Roi.
— Vous
avez d’autres fils », dit Cerdic d’un air désinvolte, et il désigna d’un
geste des hommes barbus assis à la gauche d’Aelle. Mes demi-frères me
dévisageaient, troublés. « Il apporte un message d’Arthur ! insista
Cerdic. Ce chien – il pointa son couteau vers moi – le sert
toujours.
— Apportes-tu
un message d’Arthur ? me demanda Aelle.
— J’ai
les paroles d’un fils pour un père, rien de plus, mentis-je encore.
— Il doit
mourir ! déclara sèchement Cerdic, et tous ses partisans acquiescèrent d’un
grondement.
— Je ne
tuerai pas mon propre fils dans mon manoir.
— Alors
moi, je le peux ? demanda Cerdic d’un ton acide. Si un Breton vient à nous,
alors il doit passer au fil de l’épée. » Il proféra ces paroles pour toute
la salle. « C’est un accord entre nous ! » insista-t-il et ses
hommes l’approuvèrent en rugissant et en frappant leurs boucliers de la hampe
de leurs lances. « Cette chose, dit Cerdic en tendant une main vers moi,
est un Saxon qui se bat pour Arthur ! C’est une vermine et vous savez ce
qu’on fait de la vermine ! » Les guerriers beuglèrent pour réclamer
ma mort et leurs chiens se joignirent à eux en aboyant et en hurlant. Lancelot
me regardait, le visage indéchiffrable, tandis que Loholt et Amhar montraient
ouvertement leur vif désir de participer à mon massacre. Loholt avait pour moi
une haine toute particulière car je lui avais tenu le bras pendant que son père
lui tranchait la main droite.
Aelle attendit
que le tumulte s’apaise. « Dans mon manoir, dit-il, soulignant le
possessif pour montrer que c’était lui qui régnait en ces lieux et pas Cerdic,
un guerrier meurt l’épée à la main. Est-ce qu’un homme, ici, souhaite tuer
Derfel à armes égales ? » Il fit
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