Excalibur
s’il fait semblant de glisser. » Il vit la petite broche en or
que m’avait donnée Ceinwyn. « Est-elle enchantée ? me demanda-t-il.
— Non.
— Je vais
tout de même la garder », dit-il en dégrafant la broche et en la montrant
à toute la salle. Les guerriers rugirent de colère à l’idée que j’avais
peut-être caché un talisman. « Donne-moi ton bouclier », dit Bors,
car Liofa n’en avait pas.
Je sortis mon
bras gauche des énarmes et le tendis à Bors. Il le prit et l’appuya contre l’estrade,
puis y suspendit la broche. Il me regarda comme pour s’assurer que j’avais vu
où il la mettait, et j’acquiesçai d’un signe de tête.
Le champion de
Cerdic fendit l’air enfumé de son épée. « J’ai tué quarante-huit hommes en
combat singulier, me dit-il d’une voix douce, presque lasse, et perdu le compte
de ceux qui sont tombés sous mes coups. » Il se tut et toucha son visage. « Je
n’en ai gardé aucune cicatrice. Tu peux te rendre tout de suite si tu souhaites
une mort rapide.
— Tu peux
me remettre ton épée, lui dis-je, et t’épargner ainsi une défaite. »
L’échange d’insultes
était une formalité. Liofa rejeta mon offre d’un haussement d’épaules et se
tourna vers les rois. Il s’inclina de nouveau et je fis de même. Nous étions à
dix pas l’un de l’autre, au milieu de l’espace libre entre l’estrade et le plus
proche des trois grands feux ; de chaque côté, la salle grouillait d’hommes
excités. J’entendis le cliquètement des pièces que les parieurs engageaient.
Aelle nous
signifia d’un signe de tête son accord. Je tirai Hywelbane et portai sa garde à
mes lèvres. Je baisai l’une des petites esquilles d’os de porc qui y avaient
été insérées. Les deux fragments constituaient mon véritable talisman, et ils
étaient bien plus puissants que la broche car, autrefois, ces ossements avaient
fait partie des objets magiques de Merlin. Ils ne m’assuraient aucune
protection, mais je baisai une seconde fois la garde avant de me tourner vers
Liofa.
Nos épées,
lourdes et grossières, ne gardaient pas leur tranchant durant la bataille et
devenaient vite des grandes massues de fer dont le maniement exigeait une force
considérable. Un combat à l’épée n’a rien de raffiné, mais exige du
savoir-faire. Il faut savoir tromper l’ennemi, le persuader qu’un coup va venir
de la gauche et, quand il se garde de ce côté, le frapper à droite, quoique,
dans la plupart des cas, ce n’est pas l’astuce qui l’emporte, mais la force
brute. L’un s’affaiblit, baisse sa garde et l’épée du vainqueur le frappe à
mort.
Mais Liofa ne
combattait pas comme cela. De fait, ni avant ni depuis, je n’ai affronté un
homme tel que lui. Je sentis la différence dès qu’il s’approcha de moi, car la
lame de son épée, bien qu’aussi longue qu’Hywelbane, était beaucoup plus mince
et plus légère. Il avait sacrifié le poids à la rapidité, et je compris que cet
homme serait aussi vif que Bors me l’avait dit, vif comme l’éclair ; juste
au moment où j’en pris conscience, il attaqua, et au lieu de brandir son épée
en lui faisant décrire un grand arc de cercle, il se fendit pour tenter de me
transpercer le bras.
J’esquivai sa
botte. Ces choses-là se passent si vite qu’après, lorsqu’on essaie de se remémorer
les épisodes d’un combat, l’esprit ne peut reconstituer chaque mouvement et sa
parade, mais j’avais vu une lueur dans son œil, vu que son épée ne pouvait que
porter un coup de pointe et j’avais bougé juste au moment où l’arme fonçait
vers moi comme un fouet. Je fis comme si la rapidité de son attaque ne m’avait
pas surpris et ne parai pas, mais me contentai de faire un pas de côté puis,
quand j’estimai qu’il devait être déséquilibré, je grondai et abattis Hywelbane
en un coup qui aurait éventré un bœuf.
Il fit un saut
en arrière, pas déséquilibré du tout, et étendit si bien les bras que ma lame
faucha l’air à six pouces de son ventre. Il attendit que je frappe à nouveau,
mais je lui laissai l’initiative. Les hommes criaient, exigeant que le sang
coule, mais je n’y prêtai pas l’oreille. Mon regard restait fixé sur les calmes
yeux gris de Liofa. Il soupesa son épée, toucha rapidement la mienne, puis se
fendit.
Je parai
aisément, puis bloquai le coup en retour qui suivit aussi naturellement que le
jour suit la nuit. Nos épées s’entrechoquaient
Weitere Kostenlose Bücher