Excalibur
autant que les Saxons. Les Irlandais nous
attaquaient, nous pillaient, nous mettaient en esclavage et nous prenaient nos
terres, mais ils parlaient une langue proche de la nôtre, leurs Dieux étaient
nos Dieux et, quand ils ne nous combattaient pas, ils se mêlaient facilement
aux Bretons de naissance. Certains, comme Œngus lui-même, semblaient maintenant
plus bretons qu’irlandais, car son île natale, qui s’était toujours vantée de
ne pas avoir été envahie par les Romains, avait maintenant succombé à la
religion apportée par ces derniers. Ses habitants s’étaient convertis au christianisme,
même si les seigneurs d’Outremer, les rois irlandais qui comme Œngus s’étaient
emparés de territoires bretons, restaient fidèles à leurs anciens Dieux, et je
me dis qu’au printemps prochain, à moins que les rites de Merlin n’amènent ces
Dieux à notre rescousse, les lanciers Blackshields se battraient sans doute
pour la Bretagne contre les Saxons.
Le prince
Gauvain descendit à grands pas le sentier pour venir me saluer ; il
portait son harnois blanchi à la chaux dont la splendeur fut gâtée lorsque ses
pieds se dérobèrent sous lui dans la boue et qu’il parcourut la dernière toise
sur les fesses. « Seigneur Derfel ! s’écria-t-il tout en s’aidant des
pieds et des mains pour se relever, Seigneur Derfel ! Viens, viens !
Bienvenue ! » Il me fit un large sourire lorsque je m’approchai de
lui. « N’est-ce pas la chose la plus excitante qui soit ?
— Je l’ignore
encore, Seigneur Prince.
— Un
triomphe ! s’enthousiasma-t-il en contournant prudemment la plaque de boue
qui l’avait fait tomber. Une grande œuvre ! Prions pour qu’elle n’ait pas
été accomplie en vain !
— Tous
les Bretons prient pour cela, excepté, peut-être, les chrétiens.
— Dans
trois jours, Seigneur Derfel, il n’y aura plus de chrétiens en Bretagne, car
tous auront vu les vrais Dieux. À condition qu’il ne pleuve pas »,
ajouta-t-il d’un air anxieux. Il leva les yeux vers les sombres nuages et parut
soudain sur le point de pleurer.
« La
pluie ? demandai-je.
— Ou
peut-être est-ce les nuages qui nous priveront des Dieux. Pluie ou nuage, je n’en
suis pas sûr, et Merlin est impatient. Il ne s’explique pas, mais je pense que
la pluie est un ennemi, ou peut-être est-ce les nuages. » Il marqua une
pause, l’air toujours pitoyable. » Ou les deux. J’ai questionné
Nimue, mais elle ne m’aime pas. » Il semblait très affligé. « En tout
cas, j’implore les Dieux de nous accorder un ciel clair. Dernièrement, il a été
nuageux, très nuageux, et je soupçonne les chrétiens d’avoir prié pour que la
pluie tombe. As-tu vraiment apporté Excalibur ? »
J’ôtai le
tissu qui enveloppait l’épée et la lui présentai par la garde. Durant un
instant, il n’osa pas la toucher, puis s’en empara avec précaution et la tira
de son fourreau. Il contempla la lame avec respect, puis caressa du doigt les
volutes ciselées et les dragons gravés qui la décoraient. « Faite dans l’Autre
Monde, dit-il d’une voix pleine d’émerveillement, par Gofannon lui-même !
— Plus
probablement forgée en Irlande, dis-je peu charitablement, car il y avait
quelque chose dans la jeunesse et la crédulité de Gauvain qui me poussait à
dégonfler sa pieuse naïveté.
— Non,
Seigneur, m’assura-t-il avec conviction, elle a été faite dans l’Autre Monde. »
Il me rendit Excalibur comme si elle lui brûlait les mains. « Viens,
Seigneur », dit-il, essayant de me faire hâter le pas, mais il ne réussit
qu’à glisser de nouveau dans la boue et battit des bras pour retrouver son
équilibre. Son armure blanche, si impressionnante de loin, était en mauvais
état. Le badigeonnage moucheté de boue s’écaillait, mais ce garçon possédait
une assurance indomptable qui l’empêchait de paraître ridicule. Ses longs
cheveux blonds, rassemblés en une tresse lâche, lui descendaient jusqu’au creux
des reins. Tandis que nous parcourions l’étroit passage qui tournait en lacets
entre les grands talus d’herbe, je demandai à Gauvain comment il avait
rencontré Merlin. « Oh, je le connais depuis ma naissance ! répondit
joyeusement le prince. Il fréquentait la cour de mon père, certes moins souvent
ces derniers temps, mais quand je n’étais qu’un petit garçon, il était toujours
là. Il m’a tout appris.
— Vraiment ? »
Ma surprise
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