Excalibur
rendre », dit Arthur. Il avait toujours su que cela
arriverait, depuis le jour lointain de sa jeunesse où Merlin lui avait offert l’épée
magique.
« Tu vas
la lui donner ? » demandai-je avec inquiétude.
Il fit la
grimace. « Si je ne le fais pas, Derfel, cela mettra-t-il fin aux
absurdités de Merlin ?
— Si ce
sont des absurdités, Seigneur. » Je me souvins de la jeune fille nue et
chatoyante et me dis qu’elle était le présage de choses merveilleuses.
Arthur défit
son ceinturon. « Porte-la-lui, Derfel, dit-il de mauvaise grâce,
porte-la-lui. » Il me fourra la précieuse épée dans les mains. « Mais
dis à Merlin que je veux pouvoir la récupérer.
— Je le
ferai, Seigneur. » Car si les Dieux ne venaient pas à la Vigile de Samain,
alors il faudrait tirer Excalibur de son fourreau pour porter le fer dans l’armée
des Saxons.
Mais la Vigile
de Samain était très proche, et en cette nuit des morts, on invoquerait les
Dieux.
Aussi le
lendemain, j’emportai Excalibur vers le sud pour que tout cela s’accomplisse.
Mai Dun, haute
colline située au sud de Durnovarie, a dû être, à une certaine époque, la plus
grande forteresse de toute la Bretagne. Les Anciens avaient entouré son large
sommet doucement arrondi de trois énormes murailles de mottes de gazon qui s’élevaient
en terrasses abruptes. Nul ne sait quand elle fut construite, ni même comment,
et certains croient que les Dieux eux-mêmes ont dû édifier ces remparts, car ce
triple mur semble beaucoup trop haut et ses douves bien trop profondes pour l’œuvre
de simples mortels, bien que ni la hauteur des murs ni la profondeur des fossés
n’aient empêché les Romains de s’en emparer et de passer la garnison au fil de
l’épée. Mai Dun n’abrite plus rien depuis ce jour sinon, sur le bord est du
plateau, un petit temple en pierres que les Romains victorieux ont élevé à
Mithra. En été, l’ancienne forteresse est un endroit ravissant ; des
moutons paissent ses murs escarpés, des papillons volettent autour des
graminées, du thym sauvage et des orchidées ; mais à la fin de l’automne,
lorsque la nuit descend tôt et que les pluies venues de l’ouest balaient la
Dumnonie, le sommet n’est plus qu’une éminence nue et glacée où le vent se fait
mordant.
La piste qui
mène au sommet aboutit au dédale du portail ouest, et le jour où j’apportai
Excalibur à Merlin, le chemin était glissant de boue. Une horde de gens du
peuple y pataugeaient avec moi. Certains portaient de grands fagots sur leur
dos, d’autres des outres de peau pleines d’eau, tandis que quelques-uns
aiguillonnaient des bœufs qui tiraient de grands troncs d’arbres ou des
traîneaux chargés de branches émondées. Des filets de sang coulaient sur les
flancs des bêtes qui peinaient pour hisser leurs fardeaux sur le sentier à-pic
et traître jusqu’à l’endroit où, très haut au-dessus de moi, sur le rempart extérieur
herbu, je pouvais voir des lanciers monter la garde. La présence de ces hommes
confirmait ce qu’on m’avait dit à Durnovarie, que Merlin avait fermé Mai Dun à
tous, sauf à ceux qui venaient y travailler.
Deux d’entre
eux gardaient le portail. C’étaient des Blackshields irlandais, loués à Œngus
Mac Airem, et je me demandai combien Merlin avait dépensé pour préparer cette
forteresse d’herbe désolée à la venue des Dieux. Ils s’aperçurent que je n’étais
pas l’un des travailleurs et descendirent à ma rencontre. « Vous avez
affaire ici, Seigneur ? » me demanda respectueusement l’un d’eux. Je
ne portais pas d’armure, mais Hywelbane et son fourreau suffisaient à me
signaler comme un homme de haut rang.
« J’ai
affaire avec Merlin. »
Le Blackshield
ne s’écarta pas. « Beaucoup des gens qui viennent ici, Seigneur,
prétendent avoir affaire avec Merlin. Mais le seigneur Merlin a-t-il affaire
avec eux ?
— Va lui
dire que le seigneur Derfel lui apporte le dernier Trésor. » J’essayai d’imprégner
ces paroles de la solennité qui convenait, mais elles ne parurent pas
impressionner les Blackshields. Le plus jeune monta porter le message pendant
que le plus âgé s’entretenait avec moi. Comme la plupart des lanciers d’Œngus,
c’était un joyeux luron. Les Blackshields venaient de la Démétie, royaume qu’Œngus
s’était taillé sur la côte ouest de la Bretagne, mais bien que ce fussent des
envahisseurs, on ne les haïssait pas
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