Fatima
plaça entre eux.
— Fais-lui confiance, Abdonaï, dit-elle.
— Vous êtes bien des femmes, soupira le vieux Perse. Vous ne faites jamais les choses comme il le faut, et vous exigez qu’on vous fasse confiance !
— C’est bien pour cela que tu es resté près de la saïda bint Khowaylid, répliqua Ashemou avec un regard complice.
Abdonaï en resta silencieux, les paupières baissées, puis il frappa son poignet de cuir de sa bonne main, comme s’il voulait, par ce geste, refermer la boîte des souvenirs.
— Pour cela et d’autres choses, répliqua-t-il enfin.
Puis, fixant de nouveau Fatima, il demanda :
— Tu lui as parlé de Yâkût, et alors, qu’a-t-il dit, ton Bédouin ?
— Il m’a écoutée sans m’interrompre. La vieille Haffâ non plus n’a pas prononcé un mot. Elle s’est contentée de me soigner. Mais j’ai vu qu’ils savaient très bien qui est Yâkût al Makhr.
— Tout le Hedjaz connaît Yâkût al Makhr.
— Toi, tu m’interromps sans cesse ! J’ai expliqué à Abd’Mrah que nous, les fidèles du Rabb Un et Miséricordieux, nous étions trop faibles. Et pas assez nombreux. La plupart de nos compagnons ne savent pas se battre. À part toi, mais tu es trop vieux.
Abdonaï laissa passer la pique.
— Abd’Mrah a dit : « Je sais. C’est pourquoi tu apprends à tirer à l’arc et à manier la nimcha avec le Perse. » Tu vois, il sait beaucoup de nous.
— Et alors ?
— Il a réfléchi un moment. Abd’Mrah n’est pas un garçon qui parle sans penser aux mots qu’il va dire. Il a attendu que la vieille Haffâ ait refait mon bandage pour m’annoncer : « Demain, on sera devant le grand marché. Moi et les miens. Ton père Muhammad le Messager ne risquera rien. Je te le promets. »
— Et c’est tout ?
— Oui. Il n’est pas du genre à répéter.
— Tu ne lui as pas demandé comment il comptait protéger ton père ?
— S’il avait voulu me le dire, il l’aurait dit.
Abdonaï leva un bras au ciel en un geste désespéré.
— Je ne lui ai pas demandé, non ! s’énerva Fatima, excédée. Je ne lui ai pas demandé parce qu’il m’a dit qu’il était tard et que je devais revenir à Mekka avant que vous ne vous inquiétiez. Surtout que la vieille Haffâ a insisté : « Si cette fille ne veut pas boiter pour le restant de ses jours, elle ne doit plus marcher aujourd’hui. » C’est pour cela qu’Abd’Mrah m’a donné une mule blanche. Elle est dans la cour, tu peux aller la voir. Elle ressemble à celle sur laquelle ma mère allait dans Mekka quand tu étais encore capable de gérer ses affaires en son absence. Abd’Mrah m’a dit : « Tu nous la renverras quand ton père Muhammad le Messager le voudra. » Après quoi, il m’a raccompagnée jusqu’au haut de la ville. Il m’a prévenue : « Demain, tiens-toi à l’écart sur le parvis du grand marché. Dans ton état, tu ne pourras pas nous aider. Mais tu verras comment nous nous battons. »
Fatima releva la tête et ajouta avec rage :
— Voilà pourquoi je ne lui ai rien demandé, à cet Abd’Mrah ! Parce que je sais qu’il fera ce qu’il a dit, tandis que toi, tout seul, tu pourrais seulement laisser mon père se faire égorger.
Quand elle se tut, sa colère résonnait encore contre les murs. Le silence dura un peu, empli par les bruits habituels de la cour. Abdonaï ne semblait pas offusqué par la violence de Fatima. Au contraire. Il croisa le regard d’Ashemou et, pour la première fois depuis qu’il s’était installé devant la couche de la jeune fille, il esquissa un sourire.
— Je l’ai vue, cette mule blanche, dit-il tranquillement. Une jolie bête. Fatima a raison. J’ai cru que la mule de la saïda Khadija était de retour.
Il se leva avec un soupir de fatigue et, reposant son tabouret contre le mur, il ajouta :
— Peut-être as-tu raison. Peut-être as-tu bien fait. On le saura bientôt. Mais tu devrais au moins suivre le conseil de la vieille : rester ici sans bouger jusqu’à demain et te reposer. Les vieux, ça ne profère pas que des bêtises.
Il se détourna pour quitter la pièce. Fatima s’écria :
— Abdonaï !… Tu vas voir mon père ? Tu vas lui raconter que je suis allée chez les Bédouins et qu’ils vont l’aider ?
Le vieux Perse la considéra, pensif, avant de secouer la tête.
— Pour quoi faire ? Ton père se moque qu’on le protège ou pas. Il a encore plus confiance en son Rabb que toi
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