Fatima
à sa suite. Non loin d’elle, sur sa droite, les hommes de Yâkût tentaient de disperser la cohue à grands coups de manche de lance pour protéger Abu Lahab.
Ashemou cria : Abu Talib retenait le bras d’un mercenaire d’Abu Sofyan. L’homme brandit une nimcha. Le sang coula sur le fil de la lame.
À l’instant où Abu Talib s’effondrait dans les bras d’Ali, son fils, le cercle des Bédouins protégeant Muhammad s’écarta. Fatima discerna, replié dans une posture bizarre, le corps de l’étranger immobile sur le sol. À son côté, Abd’Mrah se dressa. Il posa sur Fatima un regard intense, brûlant, comme s’il transperçait le voile qui les séparait. D’un geste, elle rejeta brièvement le tissu. Le jeune Bédouin lui adressa alors un salut presque imperceptible d’une brève inclinaison du front. Puis l’instant se brisa. Des cris de nouveau fusèrent autour d’eux : on avait attrapé les complices de l’assassin.
Abd’Mrah passa une main ensanglantée sur son front. Un sifflement aigu jaillit d’entre ses lèvres. En un éclair, les garçons qui avaient formé un mur autour de Muhammad se débandèrent. La foule les absorba telle une mer.
Quand Fatima, qui s’était détournée pour comprendre ce qu’il se passait, voulut reporter les yeux sur Abd’Mrah, il n’était plus là. À sa place, des hommes retournaient le corps sanglant de l’étranger. Puis il y eut encore des cris, de la bousculade. Il lui fallut se retenir à la crinière de la mule pour ne pas être emportée.
Zayd l’aperçut, l’interpella. Le vacarme absorba sa voix. Elle vit son père se pencher. Elle imagina un instant qu’un coup l’avait fait tomber. Mais non. Le Rabb de son père était grand ! Muhammad se redressa. Curieusement, le vide se fit autour de lui.
Le vieil Abu Talib était étendu sur le sol, Ali et Zayd agenouillés près de lui. Alors, comme les centaines d’hommes et de femmes sur le parvis du grand marché, Fatima entendit la voix de son père, grondant de fureur :
— Abu Lahab, tu as tué ton frère ! Allah ne te le pardonnera pas ! Tu finiras en enfer !
Attentat contre Abu Talib
La confusion était totale. La nouvelle de l’attentat contre le chef des Hashim, un homme respecté de tous, fit le tour de Mekka.
D’abord, il y eut l’exclamation d’Ali :
— Non, non ! Mon père n’est pas mort. Il vit, il faut le soigner !
La lame du mercenaire avait perforé le flanc droit d’Abu Talib, glissant sous les côtes. Elle s’était enfoncée sans grande profondeur, mais le sang coulait à flots de la blessure, inondant la tunique. À l’appel d’Ali, Ashemou se précipita. Ôtant son voile, elle en fit un pansement épais, nouant ses doigts à ceux d’Ali sur la blessure d’Abu Talib.
La foule à présent formait autour d’eux un cercle que les mercenaires de Yâkût maintenaient à distance. Abu Sofyan s’approcha. Après un regard froid et impassible sur le blessé, il se plaça au côté d’Abu Lahab. Celui-ci fit mine de rejoindre son frère. Du haut de sa mule blanche Fatima vit Muhammad ouvrir la bouche pour s’interposer. Il n’en eut pas le temps. Ali retira ses mains des flancs de son père et bondit, son beau visage révulsé par la haine. Il tendit ses paumes ensanglantées vers son oncle et hurla :
— Reste où tu es, fourbe !
— Maîtrise tes mots, répliqua Abu Lahab. J’ai vu ce qu’il s’est passé. C’est un accident. Nul n’a voulu la mort de mon frère.
Ali désigna Muhammad :
— Celle de notre cousin, en revanche, tu l’as voulue, n’est-ce pas ? Mais tu n’as que le courage des hyènes. Il faut que d’autres tiennent ta nimcha…
Autour d’eux, l’assemblée grondait. Abu Lahab paraissait mal à l’aise.
— Neveu, ne profère pas des paroles que tu pourrais regretter !
Mais Ali était déchaîné.
— Jamais vos lames n’atteindront Muhammad le Messager ! Notre Rabb Clément et Miséricordieux le protège. Il est indestructible. Ce sont seulement les faibles que vous atteindrez. Un vieillard comme mon père, ton propre frère ! Abu Lahab, je le dis devant tous : tu te caches derrière les malfaisants de Yâkût et d’Abu Sofyan. Et la lame qui est entrée dans la poitrine de mon père, un mercenaire la tenait, mais c’est toi qui la lui as fournie.
La face rebondie d’Abu Lahab, à la peau sombre et tendue, pâlit sous l’insulte. Sa barbichette aux poils longs et clairsemés trembla. Sa
Weitere Kostenlose Bücher