Fatima
manteaux et des tuniques rayées qui ne les différenciaient guère des Bédouins.
En approchant de la grande entrée, Fatima s’immobilisa. Puis elle frappa les flancs de la mule. Ashemou, qui guettait ce signal, retint l’animal.
Là, à trente ou quarante pas, alignés de chaque côté de la porte de l’enceinte du marché principal, se tenaient, bien visibles, une dizaine d’hommes armés. Parmi eux, Fatima aperçut Yâkût al Makhr. Quelques instants plus tard, elle distingua les deux grands mauvais, Abu Sofyan et Abu Lahab. Autour d’eux l’espace s’ouvrait comme par magie. Il n’était pas un marchand ou un simple curieux qui ne s’incline en salutation et signe de respect à leur seule vue.
Avant que Fatima ne puisse décider que faire, une rumeur se leva tout à l’opposé du parvis. Elle vit Yâkût monter sur une borne et regarder, au loin, le manteau brun que Muhammad ne quittait jamais et qu’elle aurait reconnu entre mille.
Puis tout s’enchaîna rapidement, selon une logique implacable.
Se dressant sur sa mule pour mieux voir, le coeur battant follement, Fatima chercha le beau visage d’Abd’Mrah dans la cohue. Elle ne le découvrit nulle part. Une bousculade se déclencha : en un clin d’oeil, la dizaine d’hommes de Yâkût était passée à vingt ou trente. Lances levées et lames tirées, ils obstruaient l’entrée principale, tandis qu’Abu Sofyan et Abu Lahab appelaient les marchands au calme.
À l’autre bout de la place, un remous se fit. Il fallut un instant à Fatima pour comprendre qu’une petite troupe acclamait son père. Devancé par Abu Talib, Zayd et Ali qui lui ouvraient le chemin, entouré comme toujours d’Abdonaï, d’Abu Bakr et de Tamîn, Muhammad marchait d’un pas régulier vers l’entrée close de l’enceinte du marché.
Puis d’un coup la foule se fendit : seul et sans garde, Abu Lahab allait à la rencontre de Muhammad. D’un geste, il imposa silence à l’assemblée.
Fatima vit le vieil Abu Talib sourire et saluer son frère Abu Lahab, comme si cette rencontre était du plus heureux présage. Du visage d’Abu Lahab elle ne pouvait rien distinguer, puisqu’il lui tournait le dos. Elle entendit seulement les mots qu’il lança d’une voix sonore :
— Ne va pas plus loin, ibn ‘Abdallâh ! Le grand conseil de la mâla a décidé par toutes ses bouches de t’interdire aujourd’hui l’entrée dans l’enceinte du grand marché !
Le visage d’Abu Talib se décomposa.
— Frère, tu ne peux pas faire ça ! cria-t-il.
— Que notre neveu obéisse, et nous serons en paix, répliqua Abu Lahab.
Devant la porte de l’enceinte, Abu Sofyan n’avait pas bougé. En revanche Yâkût et une dizaine de ses mercenaires s’approchaient.
Agrippée à la crinière de sa mule, Fatima aurait voulu avoir des yeux partout. Abd’Mrah n’était nulle part. Son père s’avançait devant ses oncles. Abdonaï, Abu Bakr et Tamîn contenaient à grand mal ceux qui se pressaient de toutes parts. Des cris montaient ici et là.
Abu Lahab répéta :
— Retourne chez toi, neveu. Aujourd’hui, tu ne souilleras pas notre sol avec tes paroles folles.
Fatima devina le sourire de son père s’apprêtant à répondre. Tout à coup, au coeur d’un petit groupe qu’Abu Bakr ne parvenait plus à contenir, elle vit scintiller les amulettes d’un chèche. Des amulettes semblables à celles de l’homme qui avait comploté avec Yâkût.
Un hurlement terrible sortit de sa gorge. Si fort que, le temps d’un éclair, il suspendit tous les mouvements.
Dans ce silence étrange, l’homme aux amulettes, renversant Tamîn, s’élança. Brandi au-dessus des têtes, le métal d’une courte lame refléta le soleil.
Alors, comme si elle retenait la foudre, une main agrippa le poignet meurtrier. Un bras enveloppa le cou de l’étranger. Une autre main lui empoigna les cheveux. La surprise écarquilla les yeux de l’homme. Il ouvrit la bouche sur un cri qui ne parvint pas à ses lèvres.
Derrière lui, luttant tempe contre tempe, Fatima aperçut le visage d’Abd’Mrah. Un visage déformé par la férocité du combat. Puis les deux hommes disparurent, roulant au sol, engloutis par la foule vociférante. Enfin, elle vit les capes rayées d’une horde de Bédouins sauter par-dessus les étals avant de former un mur impénétrable autour d’Abu Bakr, de Muhammad et de Tamîn.
Fatima lança sa mule dans le bouillonnement du parvis, entraînant Ashemou
Weitere Kostenlose Bücher