Fatima
tuméfiée d’un onguent vert et puant qui répandit aussitôt une si forte sensation de froid que Fatima en frissonna. La vieille femme renouait le bandage quand les garçons partis à la recherche d’Abd’Mrah déboulèrent près de la tente.
— Il arrive, il arrive ! clamèrent-ils, tout essoufflés. On l’a trouvé ! Abd’Mrah arrive !
La vieille Haffâ, faisant claquer sa langue, les repoussa d’un regard impérieux.
— Ça va, on vous a entendus. Fichez-moi le camp ! Pas de gamins autour de la tente d’Abu Gaâni, ou il vous en cuira.
Sans protester, les enfants refluèrent vers le petit groupe qui les observait de loin. Haffâ planta ses yeux voilés dans ceux de Fatima.
— Qu’est-ce que tu lui veux, à cet Abd’Mrah ? s’enquit-elle en écrasant des herbes séchées entre ses paumes.
— Qu’il m’aide à protéger mon père des mauvais. Ils veulent lui trancher la gorge.
— Qui est ton père ?
— Dans Mekka, on l’appelle Muhammad le Messager. Ceux qui ne l’aiment pas l’appellent Muhammad le Fou.
La vieille ne réagit pas. Si elle savait qui était Muhammad le Messager ou Muhammad le Fou, elle n’en montra rien.
Lâhla revint avec le lait caillé, les dattes et des petits pains fourrés au fromage, qu’elle tendit à Fatima.
— Mange, ma fille, ordonna Haffâ. Si tu veux que tes plaies se referment, il faut te nourrir. Chez toi, fais-toi donner un peu de viande. Ça aide aussi.
Dans le bol de terre épais rapporté par Lâhla, elle commença à malaxer les herbes et le lait aigre du bout des doigts. Le mélange formait une pâte qui épaississait vite et dont elle enduisait les coupures avant de les nettoyer soigneusement et de recommencer son emplâtre.
Fatima se laissait faire, guettant les bruits alentour. Les gosses avaient dit vrai. Abd’Mrah ne fut pas long à se dresser devant elle.
Plan de bataille
Plus tard, de retour dans la maison de son père, quand elle fut bien obligée de raconter à Ashemou puis à Abdonaï où elle était allée, Fatima ne dit rien de ce qu’elle avait ressenti à la vue de cet Abd’Mrah.
En vérité, dès leur première entrevue près du cimetière, il l’avait troublée. Un visage étroit, le front plat et haut, le nez puissant, les yeux comme deux gouttes de nuit. Sa peau, doucement mate, semblait aussi fine que celle d’une fille, pourtant c’était un visage de garçon, puissant et obstiné. Une profonde cicatrice entaillait sa lèvre supérieure, sans le défigurer. Pas plus que sa vieille tunique délavée et sa cape de berger ne pouvaient masquer sa prestance. Une beauté que Fatima n’avait encore jamais vue chez un homme. Sur son âge, elle s’était trompée. Sans doute avait-il trois ou quatre années de plus qu’elle. Et toute l’assurance que donne l’habitude d’être respecté et estimé par les siens.
Il n’avait pas eu l’air étonné de la voir. Elle avait même cru déceler un petit éclat de plaisir dans ses yeux. Il avait froncé les sourcils en découvrant les plaies que soignait Haffâ. Il n’avait toutefois fait aucun commentaire. La vieille Haffâ s’était tue elle aussi. Elle lui avait fait de la place auprès d’elle, marque d’un respect silencieux et affectueux. De toute évidence, ce garçon, tout jeune qu’il fût, tenait un rôle important parmi les Bédouins.
C’est ce qu’elle dit à Abdonaï. Le vieux Perse balaya la remarque d’un geste de son poignet de cuir.
— Que lui as-tu raconté ? grogna-t-il.
— La vérité, répondit Fatima. Qu’on avait besoin de lui pour protéger mon père. Il me l’avait proposé et, s’il n’est pas un menteur, il saura quoi faire.
Du coin de l’oeil, Fatima devina le sourire d’Ashemou. Abdonaï, au contraire, s’assombrit.
— Et encore ?
— Et je lui ai dit, pour Yâkût.
— Et si ton Bédouin courait prévenir la clique d’Abu Sofyan ?
La remarque du Perse agaça Fatima.
— Ce n’est pas « mon » Bédouin, et il ne le fera pas.
— Ah non ?
— Je le sais.
— Les traîtres ne portent pas leur fourberie sur le visage.
Le soupçon d’Abdonaï paraissait si monstrueux que Fatima en eut le souffle coupé. Comment pouvait-il imaginer qu’Abd’Mrah cherche à la trahir ?
— Tu te trompes, balbutia-t-elle. Abd’Mrah est prêt à tout pour nous aider.
— Ah oui ? Et comment s’y prendra-t-il ?
— Il ne l’a pas dit.
Le ricanement d’Abdonaï fit bondir Fatima. Ashemou se
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