Fatima
bon auprès de celui qui devenait le Messager.
Elle était encore sous le tamaris quand Zayd, tendu et pressé, traversa la cour. Il s’approcha. Il lui suffit d’un regard aux traits défaits de Fatima pour que la tendresse adoucisse sa voix :
— Fatima, qu’y a-t-il ? Tu as mal ? Ta cheville…
— Non…
Fatima ne put en dire plus. Un sanglot vibra dans sa gorge. Elle lâcha rageusement :
— Je dois protéger mon père. Je dois être forte ! Et je suis là à pleurer comme n’importe quelle fille !
— Fatima, tu n’es pas une fille comme les autres. Tu as sauvé ton père de la lame de l’étranger ! Sans toi, nous serions tous morts en ce moment, ou en train de gémir sur son cadavre.
— Ce n’est pas moi qui l’ai sauvé, c’est Abd’Mrah. Le Bédouin.
— Oui. Il a été courageux.
Zayd s’assombrit.
— J’aimerais le rencontrer, finit-il par dire. Qu’il m’apprenne à combattre. Cela nous serait utile. Mais sans toi il n’aurait jamais eu à…
— Zayd, j’ai peur pour lui. Pour lui et tous ceux de sa famille. Yâkût et Abu Sofyan ont vu son visage. Ils ont vu qu’il portait la cape des Bédouins.
Zayd opina, soudain sérieux. Maintenant, il comprenait d’où venait la peur de son amie.
Fatima reprit à mi-voix, comme si elle réfléchissait tout haut :
— Je n’ai plus sa mule blanche ! Si au moins ma cheville ne m’empêchait pas d’aller vers lui…
Zayd la considéra, troublé. Faisant un effort, il lui adressa un sourire de réconfort.
— Ton Bédouin ne risque rien encore. Abu Sofyan ne laissera pas Yâkût lui faire du mal tant qu’Abu Talib est vivant. J’allais justement prendre de ses nouvelles. L’attente est trop pénible.
Et, comme Fatima ne répondait pas, il lui mit la main sur l’épaule et ajouta d’une voix apaisante :
— S’il en est un qui peut encore empêcher le pire, c’est notre grand-oncle Abu Talib. Sauf que sa blessure est plus grave qu’il n’y paraît. Il est vieux et faible… Les emplâtres empêcheront peut-être le sang de couler, mais comment récupérera-t-il celui qu’il a perdu ?
— S’il meurt, ce sera la guerre ? demanda brutalement Fatima.
Zayd acquiesça. Fatima ferma les yeux.
Zayd avait raison, elle le savait. Abu Talib possédait encore assez d’influence à la mâla, ainsi que sur les Hashim et les Abd Sham, pour contrer les plus violentes manoeuvres d’Abu Lahab et d’Abu Sofyan. Mais lui disparu, Abu Lahab aurait enfin tout le pouvoir qu’il désirait.
Fatima scruta le visage de Zayd.
— Tu allais prendre des nouvelles du vieil oncle, mais tu penses qu’il va mourir ?
— Je t’ai dit : il est trop âgé et a perdu beaucoup de sang. J’ai déjà vu cela.
Zayd se passa la main sur les yeux avant d’ajouter :
— Le vieil oncle n’a jamais voulu devenir un des nôtres. Il n’a jamais voulu faire sa prière à notre Rabb Clément et Miséricordieux. Ton père le lui a demandé à mille reprises. Ali aussi… Il ne veut pas. Hobal et Al’lat sont toujours dans son coeur et dans son esprit. Il dépose toujours des offrandes devant les idoles de la Ka’bâ. Il s’entête. Pourtant, il aide et soutient notre père Muhammad comme personne dans Mekka. Mais s’il ne plie pas devant la vérité d’Allah, pourquoi Allah le maintiendrait-Il en vie ?
— Ah ! Tu crois que c’est pour cela que la lame du mercenaire est entrée en lui ? s’exclama Fatima, sidérée.
Zayd hésita :
— Ce que je sais, c’est qu’autour de notre père Muhammad, le seul à ne pas se prosterner devant Allah a été aussi le seul à recevoir la lame.
Fatima le dévisagea, pensive.
— Là-bas, Ali a dit : « Muhammad est indestructible, notre Rabb Clément et Miséricordieux le protège contre toutes vos armes. » Toi aussi, tu le crois ?
— Oui, Ali dit : « Dieu est Dieu, Muhammad est son prophète. Pourquoi Dieu détruirait-Il son messager ?»
— Et toi, qu’en penses-tu ?
— Je ne sais pas. Si Dieu veut la guerre avec les mauvais, c’est aussi pour nous rappeler que nous pouvons périr. Nous, mais peut-être pas notre père.
Fatima demeura un instant silencieuse. Zayd fit mine de partir. Elle le retint par la manche.
— Attends, grand frère !
Il était si rare qu’elle utilise ce titre affectueux et respectueux que Zayd, bien qu’adopté par Muhammad depuis des années, en fut tout ému.
— Petite soeur… ?
— Si la guerre avec
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