Fatima
bêtes. Ali les conduira à Yatrib quand il sera en état de vous rejoindre. Il en sera heureux.
Ali était encore endormi par les tisanes des vieilles servantes quand Fatima quitta la cour d’Al Arqam avec le Bédouin. Elle en fut contente. Elle préférait qu’il ne voie pas le cousin d’Abd’Mrah. Elle alla chercher le manteau de Muhammad. Les servantes n’avaient pas eu le temps de le laver. « Tant mieux, songea-t-elle. Mon père sera fier de ces taches sur son manteau. »
Au dernier moment, elle s’agenouilla et saisit les mains inertes d’Ali. Elles étaient fraîches, sans fièvre. Des mains d’homme aux doigts fins, des mains qui caressaient plus souvent l’encre des rouleaux du savoir que le fil des lames et les pommeaux des nimcha. Elle les baisa doucement. Le courage d’Ali, elle en était désormais la garante. Personne ne pourrait plus jamais le mettre en doute.
Le soleil était au plus haut quand ils s’éloignèrent de Mekka. C’était l’heure où chacun se calfeutrait entre les murs frais des maisons. Ibn Uraïqat leur fit tout de même emprunter des pistes tortueuses où il serait aisé de se rendre compte s’ils étaient suivis. Et où ils pouvaient trouver un peu d’ombre pour respirer dans la fournaise.
Ils parvinrent à la grotte de Thawr à la nuit tombante. Muhammad les accueillit avec joie. Il embrassa longuement Fatima. Au premier regard elle vit qu’il portait le baudrier et la nimcha pris autrefois à Tabouk sur un homme d’Abu Sofyan.
Elle lui raconta comment Ali et elle avaient affronté les assassins le matin. Son père se réjouit longtemps, réclama mille détails. Ensuite, elle dit l’intention d’ibn Uraïqat de les conduire à Yatrib.
Le Bédouin parla. Quand il eut fini, Muhammad dit :
— Qu’importe que la déesse Al’lat soit encore dans ton coeur. Toi, tu es déjà dans celui d’Allah. Pour les chamelles et les provisions que tu m’apportes et tout le temps que tu consacres à nous conduire sur les routes, tu auras le salaire qu’il convient. Mais ton don de confiance vaut bien plus cher et, celui-là, je n’ai pas assez de richesse pour te le payer.
Tandis qu’ils conversaient, Abu Bakr comprit : qu’il le veuille ou non, Fatima marcherait avec eux.
La longue marche
Vingt jours.
Vingt jours, c’est ce que dura leur route jusqu’à Yatrib. Vingt jours sur les sentiers étroits des montagnes du Hedjaz, aux flancs de ses ravins comme sur les plateaux où le soleil, liquéfiant l’air autant qu’une huile, faisait trembler d’une fièvre ardente la poussière et les roches.
Vingt jours d’un bonheur absolu dont Fatima goûta chacun des instants. Pressentant qu’elle n’en vivrait plus jamais d’aussi parfaits et d’aussi doux auprès de son père, elle les grava dans sa mémoire.
Pourtant, les journées se ressemblaient toutes. Alors que la nuit occupait encore le ciel, le Bédouin ibn Uraïqat se levait et allumait un petit feu. Il y chauffait une tisane d’herbes, tandis qu’à leur tour Muhammad, Abu Bakr et Fatima quittaient leurs couvertures pour prier longuement et avec ferveur. La fraîcheur nocturne les enveloppait ainsi que la caresse d’une paume, et plus d’une fois Fatima songea que ce pouvait être la manière d’Allah de les encourager et de les protéger.
Lorsque ensuite ils laissaient leur campement, ils le faisaient aussi légèrement que des oiseaux s’envolant d’une branche nue, n’y abandonnant jamais la moindre trace.
Au début, il y eut un peu de tension. Ils craignaient encore que les mauvais de Mekka, Yâkût ou ses mercenaires, ne soient lancés à leur poursuite. Le Bédouin ibn Uraïqat les menait par des sentes à l’écart de toutes les routes connues. Abu Bakr, désorienté, se montrait inquiet :
— Sais-tu vraiment où tu nous conduis ? demanda-t-il à plusieurs reprises.
En réponse, le Bédouin se contentait d’un grognement ou d’un battement de paupières. Un matin, devinant la nervosité grandissante de son cher compagnon, Muhammad, retirant le pan de son chèche qui protégeait ses lèvres de la poussière, dit :
— Ne crains rien. Il n’est de Dieu que Dieu et Il est avec nous autant qu’ibn Uraïqat.
Quand leur peur d’être rattrapés par ceux de Mekka disparut, le Bédouin sut trouver des abris pour les protéger des heures les plus brûlantes : des grottes de montagne, l’ombre de roches face à l’est, de simples replis broussailleux d’où ils
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