Fatima
Yatrib.
Lorsqu’ils approchèrent des murs blancs du village, des cris résonnèrent, des gosses s’enfuirent, des silhouettes se rassemblèrent. Des hommes levèrent la main au-dessus de leurs yeux avant de lancer :
— Allah est grand ! Allah est grand !
Prévenu par Omar ibn al Khattâb, déjà à Yatrib avec les femmes, Tamîn avait envoyé de nouveaux croyants guetter l’arrivée du Messager. Ils accoururent, très excités, au milieu du chahut et des rires. En un instant Muhammad fut entouré de prévenances. On touchait sa tunique, on lui offrait à boire, à manger… Une petite foule se forma. Puis ce fut tout le village qui vint le fêter.
Moç’ab ibn Omayr arriva, les larmes aux yeux. Surpris, Muhammad le serra contre sa poitrine. Depuis des jours, Moç’ab enchantait les habitants de Qobâ par ses merveilleuses récitations des paroles du Messager.
— À Yatrib, j’ai fait un rêve, dit-il, la voix frémissante. Je t’ai vu chercher ici, ô Envoyé, au-dessus de Qobâ, une grotte pour la nuit. Mais il n’existe aucune grotte au-dessus de Qobâ ! Je me suis réveillé, et j’ai compris : je devais venir parler aux gens d’ici. Leur réciter les versets d’Allah. La grotte que tu cherchais dans mon rêve, c’était leur coeur. Et te voilà…
Moç’ab désigna la foule qui les entourait.
— C’est leur coeur, oui…, répéta-t-il. Et maintenant ils connaissent assez de prières pour joindre leurs paroles aux tiennes.
C’est ce qu’ils firent aussitôt. Muhammad refusa la nourriture et les gobelets de lait. Il réclama seulement une écuelle d’eau pour se laver le visage et les mains. Moç’ab le conduisit vers le mince enclos où les païens de Qobâ avaient eu coutume d’honorer leurs idoles. Le sol avait été soigneusement nettoyé des cendres et des résidus des offrandes. Entouré d’Abu Bakr, de Moç’ab et des nouveaux croyants, il leva les paumes et le front vers le ciel. Aux premiers mots qu’il prononça : « Au nom d’Allah, le Clément et Miséricordieux, louange à Allah, Seigneur des Mondes, Maître du jour de la rétribution [24] »… l’oeuvre déjà accomplie par Moç’ab fut évidente. Les gens de Qobâ élevèrent la voix sans hésiter. Leurs mots et ceux de l’Envoyé résonnèrent à l’unisson. Ils connaissaient les versets par coeur, aussi bien que les croyants mekkois.
Puis ils s’attroupèrent autour de Muhammad. Fatima sut avec certitude que la proximité avec son père, qu’Allah lui avait offerte durant vingt jours, s’achevait. De ce moment, et pour les temps à venir, son père serait uniquement celui vers qui tous se tourneraient. Le Messager, l’Envoyé de Dieu.
Pour elle, il n’aurait plus qu’une attention légère, car son Rabb ferait peser sur ses épaules le poids écrasant de la construction d’un monde nouveau.
Sa place n’était plus dans les pas de Muhammad. Déjà, ici, à Qobâ, il n’avait nul besoin d’être protégé.
Le coeur lourd, elle s’écarta, se tint à distance de la joie et de l’animation. Quand l’excitation retomba, des femmes de Qobâ prirent conscience de sa présence. Elles s’approchèrent, souriantes, bienveillantes. Mais incapables de cacher leur étonnement devant son apparence.
Bien vite, leur incompréhension se fit taquine : Que faisait donc la fille du Messager, la poitrine barrée par un arc ? Et avec ce gros bâton à pointe ferrée au bout du bras ! Avait-elle accompli tout le trajet depuis Mekka en chevauchant sa chamelle comme un homme ? Installée sur une simple selle à pommeau et non à l’abri d’un palanquin ? Ignorait-elle la décence ?
Quand elles découvrirent le poignard passé dans la ceinture qui ceignait la taille de Fatima, les exclamations n’eurent plus rien de moqueur. Les regards se chargèrent de réprobation et de suspicion. Était-il possible que la fille du Messager se comporte ainsi ?
— Oh non ! se récrièrent-elles. Fille Fatima, tu ne peux pas paraître à Yatrib ainsi vêtue ! On se moquera de toi. Tu feras honte à ton père. Que penseront-ils d’un Envoyé qui laisse sa fille adopter l’apparence d’un homme ?
Pourquoi Allah voulut-il qu’Abu Bakr, venant réclamer une nouvelle cruche d’eau, entendit cette dernière remarque ?
Sans hésiter, il intervint. Il s’adressa aux femmes avec cette assurance, et même cette habituelle arrogance qui impressionnait toujours. Il les apaisa en leur certifiant que la
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