Fatima
labourées et sont sans habitation, Envoyé. Mais ce n’est pas à nous de choisir. Qui d’autre que toi peut dire la volonté d’Allah ?
Aussitôt Muhammad réclama sa monture.
— Conduisez-moi. Il n’y a pas de temps à perdre. Ce soir, je veux prier en sachant où se tiendra la maison que Dieu nous destine.
Alors qu’ils se mettaient en marche entre les palmeraies, Zayd s’approcha du palanquin de Fatima. Il posa la main sur l’encolure de la chamelle :
— Fatima…
Devant l’air défiant de la jeune fille, il hésita, puis se tut. De la pointe de sa baguette, Fatima titilla le cou de l’animal afin qu’il suive le groupe de Muhammad. Zayd marcha à son côté, les doigts toujours posés sur la fourrure de la bête. Ils avancèrent sans parler pendant une vingtaine de pas. Raidie, les yeux fixés devant elle, Fatima redoutait les questions et les taquineries de Zayd.
Mais ce fut tout autre chose qu’elle entendit :
— Je suis heureux que tu sois enfin arrivée, Fatima. Nous avions tous peur pour vous, et je n’ai cessé de prier en pensant à toi. À toi et à notre père.
Puis il ajouta, sincèrement et sans nulle moquerie :
— Tu es très belle en fille, même si tu détestes cela.
Étonnamment, son intonation était dénuée de la joie que supposaient ses mots. Elle était si grave et si pesante de tristesse que Fatima comprit que Zayd était porteur d’une triste nouvelle.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle, la gorge serrée, tirant brutalement sur la longe pour immobiliser la chamelle.
— Je voulais être celui qui te l’apprendrait, dit Zayd. Il est arrivé malheur à Ashemou…
Fatima ne sut jamais si elle avait crié ou si les mots avaient seulement explosé dans sa tête et son coeur : « Ashemou est morte !»
Comme s’il avait entendu sa plainte, Zayd opina :
— Une vipère, dit-il. Cinq jours après le départ de Mekka. Ashemou prenait soin de la mère d’Ali, un peu malade… Un matin, elle s’est réveillée pour préparer le feu. Elle a aperçu la tête de la vipère sous la couverture, tout près du cou de la vieille dame. Elle n’a pas réfléchi. Elle a lancé sa main…
Zayd, levant le poignet, désigna la peau fine où transparaissaient les veines.
— La vipère l’a mordue là. Dans le doux de la chair. Ses crocs étaient plantés si loin qu’Ashemou n’a pu arracher la tête de l’animal. Elle a à peine crié : le venin lui avait coupé le souffle. C’est allé si vite… Elle n’a pas eu le temps de souffrir.
Dans la voix de Zayd, les larmes perçaient. Fatima le comprenait. S’il en était un qui avait aimé Ashemou autant qu’elle-même et que Khadija, c’était bien lui, le fils adoptif. L’esclave libéré, comme l’avait été Ashemou.
Non, l’émotion de Zayd ne l’étonnait pas. Mais elle-même ne parvenait pas à pleurer, et cela l’effraya. Elle songeait : « Ashemou est morte !», et pourtant elle n’était que dureté et glace.
Elle relança sa chamelle. Zayd lui jeta un coup d’oeil surpris, choqué peut-être. Mais il demeura à son côté. Sans prononcer un mot de plus.
Muhammad et la petite foule de croyants étaient maintenant loin devant. De part et d’autre des chemins de sable, les jardins étaient plus restreints et plus serrés. Des habitations les jouxtaient. De vastes constructions encloses dans de hauts murs aveugles. On ne pouvait rien distinguer des cours, qui devaient être grandes. À l’angle de quelques-unes avaient été érigées des tours carrées deux fois plus élevées que les enceintes. Rien n’évoquait une cité : ces maisons semblaient éparpillées au hasard de l’oasis, leurs murs ne dessinant aucune ruelle ou place. On n’apercevait ni boutiques, ni l’agitation d’un marché.
Zayd se racla la gorge. Il avait saisi les pensées de Fatima et en était peiné. Avec, cette fois, un peu de reproche, il désigna un point loin au-delà des palmiers :
— La cité, il y en a une, petite, là-bas, chez les Juifs des Banu Qaynuqâ.
Fatima l’entendit à peine. À bien regarder ce qui l’entourait, cette beauté nouvelle, étrangère, si différente de Mekka et dont elle ne connaissait rien – ni les chemins, ni les ombres, où le ciel n’était nulle part limité par les montagnes de basalte et où elle n’avait aucun souvenir –, elle n’était déjà plus la Fatima bint Muhammad qu’elle avait été.
Elle reconnut le puits profond d’où provenait
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