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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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pouvait-il décider s'il répondrait ou non ?
    Alors qu'il mettait fin à sa conversation avec un membre éminent du Parti libéral, Thomas Picard se dit que rien, dans la tâche de son secrétaire, ne semblait très difficile. En confiant ce poste à une femme, il pourrait économiser la moitié du salaire. Au cours des vingt années suivantes, la plupart des patrons du monde occidental feraient le même constat.
    Un peu avant sept heures, des coups légers à la porte attirèrent l'attention d'Alice Picard. Elle tenta de se redresser un peu dans son fauteuil avant de répondre «Entrez». La poignée tourna lentement, Eugénie glissa un visage timide dans l'embrasure.
    —    Entre, entre, dit la jeune femme d'un ton presque enjoué. Ton frère est avec toi ?
    —    Oui, je suis là, annonça le gamin.
    Les enfants affichaient un air si intimidé que leur mère insista :
    —    Venez près de moi. Eugénie, ferme la porte et approche la chaise.
    La fillette obéit. Un moment plus tard, assise, son frère à demi appuyé sur le siège assez large pour deux, elle attendait, intimidée par cette femme qui lentement s'effaçait de sa vie, devenait une étrangère.
    —    Apprenez-vous beaucoup de nouvelles choses ?
    —    Bientôt nous saurons lire, clama Eugénie.
    —    Tout de même, c'est bien ennuyant, tracer des lettres.
    En disant ces mots, le garçon regardait ses doigts, encore tachés d'encre. Le métier d'écolier présentait des inconvénients.
    —    Mais tu dois penser à tout ce que tu pourras lire bientôt, le consola sa mère. Au moins, cette Elisabeth est gentille avec toi ?
    —    Oh oui, très gentille ! Puis elle est très jolie.
    Alice encaissa la réponse comme un choc, puis fixa des
    yeux sa fille, sollicitant une confirmation.
    —    Elle est très gentille avec nous.
    —    C'est son travail, être gentille avec les enfants qu'on lui confie... Elle est payée pour cela. Si jamais il se passe quelque chose, tu viendras me le dire, n'est-ce pas ?
    Elle acquiesça d'un signe de la tête, ne sachant trop cependant quel genre d'événement pouvait mériter de faire l'objet d'un rapport à sa mère.
    —    Et papa, vous le voyez beaucoup ?
    —    Il n'est jamais là, décréta Edouard, un peu dépité.
    —    Il a beaucoup de travail, le défendit Eugénie. Puis parfois il s'absente à cause des élections.
    Une semaine plut tôt, le portrait de Wilfrid Laurier dans la vitrine du photographe Livemois avait intrigué la petite fille. Très vite elle l'avait reconnu dans les gravures qui ornaient La Patrie et Le Soleil, les deux journaux farouchement libéraux qui entraient dans la maison tous les jours. Bien qu'elle n'y comprenne rien, elle savait que son père trempait dans un grand événement.
    —    Cette fameuse politique ! Thomas est convaincu qu'un changement du parti au pouvoir sera bon pour ses affaires...
    Cet intérêt était apparu en 1891, l'année de la naissance d'Edouard, pour ne plus le lâcher ensuite. Un moment plus tard, la malade ferma les yeux, laissa échapper un long soupir puis murmura :
    —    Ton père voit beaucoup Elisabeth, depuis qu'elle est dans la maison ?
    Soudainement, Eugénie réalisa le genre d'événement digne d'un compte-rendu attentif, sans trop comprendre les motifs de sa mère.
    —    Non. Nous le rencontrons tôt le matin. Parfois à midi nous mangeons tous les quatre ensemble.
    Le «nous» arracha un soupir à la malade. Pendant des années, malgré son absence de la plupart des événements significatifs pour le reste de la famille, ou peut-être justement à cause de cette absence, elle avait pesé d'un poids immense sur la maisonnée. La porte close de la chambre amenait tout le monde à adopter une retenue de tous les instants. Tous les jeux se déroulaient dans un murmure, le moindre éclat de voix de l'un valait un «Chut, tu vas déranger maman» de l'autre. Un vague sentiment de culpabilité habitait les bien-portants. Les paroles non entendues, les caresses non reçues prenaient toute la place.
    Une autre présence venait maintenant gruger le vide insupportable...
    —    Et le soir ? Tu sais si le soir cette fille se trouve avec ton père ?
    —Je ne sais pas... Nous nous couchons tôt.
    Edouard étouffa un bâillement, ennuyé par cette conversation dont il ne comprenait rien. Encore un peu de temps, et l'heure passée à tracer des «b» si compliqués lui paraîtrait un heureux

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