Faubourg Saint-Roch
familiale s'améliorerait en produisant une partie des biens vendus.
Ces bonnes pensées avaient toujours le don de lui donner l'énergie de terminer une journée de travail plutôt longue. Pour tromper la fatigue, comme tous les jours en fin d'après-midi, il quitta son bureau pour aller chercher une tasse de thé. Un petit réchaud à alcool permettait de profiter d'une provision de boisson chaude à toute heure de la journée.
Au moment de revenir, une grande tasse fumante à la main, l'attention de Thomas fut attirée par le cliquetis d'une machine à écrire. La silhouette d'une jeune femme retint son attention. Mince au point d'être gracile, elle arborait une lourde tresse de cheveux très foncés, qui lui atteignait le haut du dos.
Dans un coin, face à un mur, Marie Buteau déchiffrait l'écriture manuscrite d'Alfred Picard pour en faire un texte bien net, au rythme des marteaux d'acier frappant une feuille de papier blanche. Elle sentit une présence derrière elle. Intimidée, le dos rigide, elle tenta de conserver sa cadence sans faire de faute. Parfois, le bout de son doigt heurtait deux touches à la fois, ce qui avait pour effet d'emmêler les lettres.
— Je constate que vous avez commencé à remplir vos nouvelles fonctions, Mademoiselle.
Marie cessa de frapper les touches pour se retourner à demi vers son employeur et répondre :
— Cela fait huit jours aujourd'hui, monsieur Picard.
— Et qu'est-ce que mon frère confie à vos doigts agiles ?
—J'écris à un manufacturier pour lui demander de nous
envoyer une plus grande quantité de jupons, dans un plus grand éventail de tailles.
Le commerçant eut un sourire satisfait, profita de l'occasion pour vérifier si les yeux de la jeune fille étaient bien bleus, comme l'en avait assuré son frère, ou noirs. Le chef de rayon avait raison, convint-il pour lui-même après un moment.
— Je vois que vous êtes allé faire du thé, commenta la jeune fille pour rompre le silence devenu lourd. Si vous le voulez, je pourrais le préparer tous les après-midi et vous porter une tasse à votre bureau.
Après quelques jours de cette routine, Marie appréciait le fait de terminer sa journée seule devant une machine à écrire plutôt que d'accueillir les clients pressés qui passaient par le magasin en rentrant chez eux. Pour continuer de profiter de ce privilège, le mieux était de se rendre utile.
— Ma foi, ce serait une excellente idée. Je vous remercie.
De son côté, Thomas devait convenir que son secrétaire n'avait jamais eu cette attention. Le jeune homme se nommait Fulgence Létourneau. Récemment sorti de l'Académie commerciale de Québec, il tentait désespérément, depuis un an, de se faire pousser une moustache sous le nez. S'il y arrivait bientôt, peut-être le considérerait-on comme un adulte.
Une demi-heure plus tard, alors qu'elle rangeait ses papiers, Marie eut de nouveau l'occasion de se faire bien voir de son supérieur. La sonnerie du téléphone retentit une première fois, puis une seconde. À la troisième, elle prit sur elle de répondre: jamais auparavant elle n'avait posé la main sur un appareil de ce genre. Heureusement, avoir déjà vu quelqu'un en utiliser un lui évita de confondre le récepteur et l'émetteur !
— Oui ? prononça-t-elle beaucoup trop fort.
— ... J'aimerais parler à Thomas Picard, fit une voix étonnée à l'autre bout du fil.
—Je vais le lui dire.
La jeune fille posa l'écouteur sur la surface d'un bureau, près du pied de l'étrange appareil, et alla frapper à la porte de son patron.
— Oui, qui est-ce? demanda celui-ci.
Elle ouvrit, passa la tête dans l'embrasure de la porte pour dire:
— Un homme veut vous parler. Au téléphone.
— De qui s'agit-il ?
— ... Je ne le lui ai pas demandé.
La jeune fille parut si désemparée que Thomas éclata de rire, puis expliqua sur un ton amusé, en tendant la main vers son propre appareil pour l'approcher de lui :
— Si cela se produit de nouveau, vous demanderez le nom de la personne qui appelle, pour me le dire ensuite. Comme cela, je saurai si je suis là, ou si je viens tout juste de partir. Je vais prendre l'appel ici. Raccrochez l'écouteur dans le bureau de mon secrétaire.
Après avoir refermé la porte, Marie mit un moment avant de comprendre le sens de la remarque du commerçant. Sans connaître l'identité de son correspondant, comment
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