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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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notre marché. Sans eux, nous serions au chômage.
    —    Dans quel domaine travaillez-vous ? demanda Laurier sans s'émouvoir outre mesure de l'interruption.
    —Je fabrique des chaussures.
    Ce secteur d'activité dominait l'économie de la Basse-Ville de Québec depuis une vingtaine d'années.
    —    De bien bonnes chaussures, je suppose. J'achète toujours les miennes ici, rétorqua le candidat en regardant ses pieds. Pourquoi avez-vous peur de la concurrence ? Vous avez les meilleurs ouvriers d'Amérique. Regardez-les, tout autour de vous. Si le commerce avec les Etats-Unis était plus facile, vous pourriez inonder le marché du pays voisin. La population, là-bas, est quinze fois plus nombreuse qu'ici. Cela signifie quinze fois plus de pieds à chausser. Les hommes de Chicago et de Philadelphie pourraient porter les excellents souliers fabriqués à Québec. Les femmes de Boston et de Sacramento, se parer des corsets produits à quelques rues d'ici, à la Dominion Corset!
    La remarque souleva quelques rires un peu égrillards. Le lendemain, L'Evénement reprocherait peut-être au candidat d'avoir évoqué les sous-vêtements féminins sur les hustings. De telles allusions se murmuraient habituellement dans l'intimité.
    Pendant un moment, Wilfrid Laurier précisa son projet de réciprocité commerciale limitée avec le pays voisin. Selon celle-ci, certains produits passeraient la frontière sans aucun prélèvement de taxe, alors que d'autres, dans des secteurs plus fragiles, continueraient d'être protégés.
    Pendant toute l'heure que dura le discours, la foule exprima régulièrement son appréciation par des éclats de rires et des applaudissements. Bientôt, Edouard se tortilla sur sa balustrade, lassé. Pour tromper son ennui, sa main chercha les cheveux blonds d'Elisabeth pour y enfouir les doigts, tout en s'appuyant contre elle. Très femme du monde déjà, Eugénie dissimulait ses bâillements derrière sa main gantée de dentelles.
    Puis le politicien descendit de l'estrade pour se soumettre à un bain de foule. Tout admiratifs qu'ils fussent pour le chef canadien-français, conscients de leur rang dans la société, les citoyens les plus humbles de la Basse-Ville s'effaçaient pour regagner leurs foyers. Les notables, ou ceux qui aimaient à se considérer comme tels, se pressaient plutôt pour lui tendre la main. Thomas Picard présentait les plus respectables d'entre eux au grand homme. Attentif à lui éviter les désagréments, il faisait aussi en sorte de faire un mur de son corps devant ceux qu'il soupçonnait de vouloir quêter un emploi ou un privilège quelconque.
    Le chef libéral avançait en direction du balcon où se tenaient toujours Elisabeth et les enfants. Leurs hôtes, rassasiés de bonnes paroles libérales, s'étaient quant à eux retirés dans leur demeure dès la fin du discours. Edouard hurla à pleins poumons de sa voix haut perchée, tout en faisant un grand geste de la main :
    —    Papa, nous sommes là !
    Ce fut Laurier, amusé, qui répondit d'un salut de la main. Bon politicien, le candidat connaissait tout le profit à tirer d'une attitude affectueuse à l'égard des enfants. Il s'approcha en demandant à son compagnon :
    —    Ce gaillard est un parent à vous ?
    —    Mon fils, Edouard. Ma fille est à côté de lui.
    —    Il possède une voix de politicien. Peut-être sera-t-il la «langue d'or» de demain.
    Autour d'eux, les hommes eurent un sourire amusé. Depuis des années, les journaux de langue anglaise qualifiaient Laurier de «langue d'argent». Ses discours séduisaient tous les auditoires.
    Rendu près du balcon, le politicien tendit la main pour prendre celle de la fillette en disant:
    —    Je suis enchanté de vous rencontrer, mademoiselle...
    —    ... Eugénie, Monsieur.
    La gamine serra la main en rougissant, esquissa une petite révérence, fière de montrer ses apprentissages récents. Un instant plus tard, ce fut au tour du jeune garçon d'avoir droit à des salutations.
    —    Enchanté, monsieur Edouard.
    Laurier regretta qu'aucun appareil photo ne permette de croquer sur le vif une scène aussi charmante. L'image aurait fait les délices des lectrices des journaux.
    Avant de poursuivre son chemin, le politicien toucha son chapeau haut-de-forme en adressant un salut de la tête à Elisabeth. Quand la foule se fut à peu près dispersée, la préceptrice prit la main des enfants en proposant :
    —    Si nous

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