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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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m'as demandé si je la croyais capable de tenir des livres, ce dénouement m'est en effet passé par la tête.
    —    Alors, qu'en penses-tu ?
    Alfred changea de position sur sa chaise afin de soulager la tension dans son dos, demeura songeur un moment, puis commença :
    —    Elle a désespérément besoin d'améliorer sa situation. Les salaires des vendeuses suffisent pour des personnes habitant chez leurs parents, en attendant de trouver le bon parti. Seule dans la vie, elle frôle la misère...
    —Je ne voulais pas la liste de ses malheurs, mais plutôt celle de ses compétences.
    —    Oh ! La misère, ou le risque d'y plonger, me semble déjà une bonne recommandation. Cela fera d'elle une employée déterminée à te donner entière satisfaction. De plus, elle écrit plutôt bien, se débrouille en anglais quand par hasard une Irlandaise, ou même une Anglaise s'égare jusqu'à mon rayon. En réalité, elle pourrait sans doute se présenter à l'examen pour devenir institutrice et se trouver un emploi dans un trou perdu.
    Au Québec, toutes les jeunes filles un peu instruites devenaient des institutrices potentielles. Une minorité de candidates à l'enseignement terminait le cours normal. Les autres, après quelques années de couvent, potassaient deux ou trois manuels scolaires et se présentaient à l'examen avec d'excellentes chances d'obtenir un brevet.
    —    Pour un salaire sans doute moins élevé que ce qu'elle touche ici, observa Thomas.
    —    C'est pour cela que je lui conseillerai de devenir ta secrétaire, même si je suis convaincu que tu lui accorderas la moitié de ce que touchait le nouveau gérant de la ganterie.
    Thomas, songeur, déplaça quelques documents sur la surface de son bureau, puis opposa à la suggestion de son frère :
    —    Elle sera toute nouvelle dans ses fonctions.
    —    Ce sera ta vitrine. Ne laisse pas tes visiteurs être reçus par une pauvresse, si tu ne veux pas être mal perçu. Déjà que tout le monde comprendra que tu économises en recourant à ses services... Montre-toi économe, pas pingre.
    Offrir à une femme la moitié du salaire d'un homme pour la même fonction ne choquait personne, bien au contraire. L'usage reposait sur une réalité bien simple: tous les employés masculins se retrouvaient tôt ou tard avec une épouse et des enfants, il fallait les payer mieux. Evidemment, il existait quelques exceptions. Personne ne songeait à ajuster la rémunération d'Alfred à la baisse, bien que ce fût un vieux garçon, ni à la hausse dans le cas des veuves qu'un malheur rendait responsables du bien-être d'une famille.
    —    Je lui parlerai en fin de journée quand elle viendra faire cliqueter le clavigraphe, mais tu pourras prendre les devants et lui annoncer la chose si cela te chante. Et tu pourras aussi lui faire savoir que Fulgence voudra l'initier à ses nouvelles fonctions au cours de la semaine.
    —    Je suis donc autorisé à remplacer Marie immédiatement.
    Un moment, Thomas pencha de nouveau pour les économies
    de personnel. Mais malgré le dilettantisme agaçant de son frère, le rayon des vêtements pour femme se révélait l'un des plus rentables du commerce. Le priver d'une employée romprait peut-être une combinaison favorable aux affaires.
    —    Tu l'es. Tâche d'avoir la main aussi heureuse.
    Alfred se leva en esquissant une grimace de douleur, puis sortit en disant «Au revoir, Patron» de son ton persifleur.
    Juillet se terminait sur une vague de chaleur. Les journaux rapportaient que dans les grandes villes américaines, de nombreux décès tenaient à la canicule. Des articles annonçaient aussi que des Québécois sans cesse plus nombreux prenaient le chemin des «bains-de-mer». Charlevoix continuait bien sûr d'accueillir des estivants. Cependant, d'autres destinations devenaient aussi très populaires, comme Cacouna, et surtout Notre-Dame-du-Portage sur la rive sud du Saint-Laurent. Quelques originaux décidaient de descendre vers le sud pour faire connaissance avec Old Orchard. Au fond, aucune destination ne se trouvait vraiment éloignée, grâce au réseau de chemins de fer.
    Parce que le grand magasin Picard profitait de grandes fenêtres à ses deux extrémités, la chaleur n'y devenait jamais vraiment insupportable: une brise bienveillante traversait sans cesse chacun des étages. Sur les trottoirs, les badauds profitaient toujours d'un peu d'ombre, avec les auvents que la plupart

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