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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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des commerces installaient sur toute la longueur de leur devanture. Aussi l'achalandage ne diminuait guère.
    —    Marie, voulez-vous venir avec moi un moment?
    La jeune fille leva des yeux un peu inquiets au-dessus d'une pile de chemisiers blancs qu'elle pliait et se rassura tout de suite en apercevant le sourire de son supérieur. Dans la salle d'essayage, l'homme prit place sur l'une des chaises, désigna la seconde à la vendeuse.
    —    Vous vous doutez sans doute que Fulgence Létourneau quittera bientôt le magasin. Mon frère lui confie la gérance
    d'une petite manufacture.
    —Je sais, j'ai capté des bribes de conversation, dans les locaux de l'administration.
    —    Si vous le voulez, son poste vous appartient.
    Marie ouvrit de grands yeux, le rouge monta sur son cou, se répandit sur ses oreilles.
    —Je suppose que je dois interpréter votre bouche ouverte et vos yeux effarés comme une acceptation.
    —    ... Ce serait avec le plus grand des plaisirs, mais je me demande si je saurais...
    —    Les religieuses vous ont certainement parlé de la grâce d'état.
    Devant le regard intrigué de son interlocutrice, le chef de rayon soupira, puis s'engagea dans une explication :
    —    Quand Dieu appelle l'une de ses brebis à exercer une fonction, il lui donne aussi la compétence de bien remplir la tâche qui sera la sienne. C'est la grâce d'état.
    —Je sais, mais je ne vois pas le lien avec moi...
    —    Ici, mon frère est le dieu tout-puissant. S'il vous appelle à ce poste, c'est sans doute qu'il pense que vous en connaissez suffisamment pour l'occuper, et que vous pourrez apprendre ce que vous ignorez encore.
    La jeune fille répondit d'un sourire, puis s'enhardit à préciser :
    —    Sauf que le Dieu du ciel donne la compétence aux personnes choisies. Le dieu du commerce de détail froncera les sourcils devant la moindre de mes insuffisances.
    —    Nous n'avons pas d'autre divinité sous la main. Acceptez-vous?
    —    Je n'ai pas les moyens de dire non.
    Alfred lui expliqua que dès le lendemain sans doute, Fulgence Létourneau lui révélerait quelques-uns des mystères de sa nouvelle fonction. Au moment de se lever de sa chaise, il demanda encore :
    —    Vous connaissez une autre jolie personne capable de prendre votre relais derrière la caisse enregistreuse, les jours où j'arrive en retard? Je cherche une nouvelle vendeuse.
    —    J'ai une liste de quelques noms, des chômeuses qui offrent leurs services. Je serai facile à remplacer...
    —    Je vais vous donner un conseil, le dernier de chef de rayon à vendeuse : ne répétez plus jamais ce que vous venez de dire. Certaines personnes pourraient être assez stupides pour vous croire.
    L'homme quitta le petit réduit, laissant à Marie le temps de se faire à l'idée de son nouveau statut. Elle contempla un moment son reflet dans le grand miroir accroché au mur, hésitant entre la joie et l'inquiétude. A la fin, résolue à tous les efforts, elle revint devant les étals de marchandise, certaine de devoir replier encore soigneusement les vêtements abandonnés pêle-mêle par des clientes hésitantes.
    —    Monsieur, je vous suis infiniment reconnaissante. Je tâcherai de me montrer digne...
    D'un geste de la main, Thomas l'arrêta. Selon un rituel convenu depuis quelques semaines, Marie avait apporté une tasse de thé, pour la poser au milieu du bureau de son patron.
    —    Je suis certain que vous ferez de votre mieux.
    Cela ne voulait pas dire que ce serait suffisant, mais elle dut se contenter de cette appréciation. Le commerçant continua :
    —    Demain matin, Fulgence commencera à vous initier aux tâches de routine qui vous attendent. Pour l'essentiel, votre travail concernera la correspondance avec les fournisseurs. Nous verrons au jour le jour.
    Debout au milieu de la pièce, la jeune fille tirait nerveusement sur la lourde tresse de ses cheveux ramenée sur son épaule gauche. Ses yeux brillèrent un peu plus quand le patron évoqua son nouveau traitement. C'était la promesse d'une chambre à elle seule, de vêtements décents et de trois repas par jour: plus du tiers de la population de la ville de Québec n'en obtenait sans doute pas autant.
    —    Comme pour les vendeurs ou les vendeuses, vous pourrez obtenir des marchandises au prix coûtant. Ce privilège ne concerne que vous et votre famille immédiate, pas les amis, les connaissances, les

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