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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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petite fête comme aujourd'hui permettait à celui-ci de tisser des liens avec les paroissiens. Lentement, les réserves à son égard s'estomperaient, la confiance naîtrait. Les prêtres, par le biais de la confession bien sûr, mais aussi grâce aux confidences, à la guidance spirituelle, pénétraient dans l'intimité des personnes comme aucun époux, aucun parent ne pouvait le faire.
    Après le repas, les membres de l'orchestre regagnèrent la petite estrade et commencèrent à jouer des pièces légères. On comptait plus d'hommes que ce que leur nombre au grand magasin ne l'aurait laissé deviner: des vendeuses avaient convié leur ami de cœur à participer à ces agapes. Certains d'entre eux plantèrent deux tiges de métal dans le sol à une vingtaine de pas l'une de l'autre et se livrèrent à une partie de fers chaudement disputée.
    Les plus jeunes négligèrent cet affrontement pour passer le pont conduisant vers le village de Stadacona. Là, ils cherchèrent un passage où sauter par-dessus le petit ruisseau Saint-Michel afin d'improviser une joute de baseball dans un pâturage. L'abbé Buteau les avait suivis avec sa sœur, mais son intérêt fléchit bien avant la fin de la première manche.
    —    Allons nous promener de l'autre côté de ce ruisseau.
    —    Pourquoi pas ? Même si c'est à deux pas de la paroisse, je ne viens à peu près jamais de ce côté de la rivière Saint-Charles.
    La fréquentation de l'école d'abord, son emploi au magasin Picard ensuite, lui avaient laissé peu de temps pour parcourir les environs de la ville. En suivant la large boucle décrite par la rivière, ils arrivèrent devant une grande croix de bois, plantée dans un carré de gazon plutôt mal entretenu.
    —    Voilà le monument Cartier-Brébeuf, expliqua le jeune abbé.
    —    Tout de même, si je ne viens pas souvent de ce côté de la rivière, je ne suis pas ignorante à ce point. Cette croix a été érigée par la Société Saint-Jean-Baptiste, il y a une dizaine d'années. Ce qui m'intrigue cependant, c'est le nom. Si le monument rappelle l'hiver que Cartier a passé sur le site, pourquoi lui accoler le nom d'un martyr?
    —Je pense que les jésuites avaient une maison dans les parages.
    C'était l'explication courte. Emile ne tenait pas à s'engager dans la plus longue. Lentement, l'Église catholique faisait main basse sur le passé du Québec. Impossible pour elle de laisser un monument commémorer l'action d'un laïc au service d'un roi de France peu vertueux. Jacques Cartier ne figurerait dans le paysage de la mémoire qu'en l'affublant d'un compagnon irréprochable, mort sous la torture pour avoir voulu faire connaître le vrai Dieu aux Iroquois. Pour des personnes comme sa sœur, il convenait de croire qu'un ecclésiastique se trouvait à toutes les pages du passé glorieux du petit peuple.
    —    Marie, tu veux traverser ? cria une voix depuis la rivière.
    Dans une chaloupe, un jeune homme large d'épaules, la casquette rejetée à l'arrière de la tête, lui adressait des signes de la main. Son joli cœur des faubourgs se manifestait, le Marcel Bellavance qui lui avait galamment tenu compagnie sur le terrain du Manège militaire le jour de la Saint-Jean. Depuis, ils avaient échangé quelques mots sur le parvis de l'église chaque dimanche, sans que s'ensuive pourtant la moindre invitation. Au moment où l'abbé se déplaça un peu, la croix ne le déroba plus aux yeux du rameur.
    —    Oh ! Et bien sûr vous aussi, Monsieur l'Abbé, je peux vous ramener à la petite fête.
    Marie interrogea son frère du regard, puis répondit d'une voix enjouée :
    —    Pourquoi pas ? Cela nous économisera quelques pas.
    En quelques coups de rames, le jeune homme accosta sur la rive boueuse, sauta à terre pour tirer l'embarcation au sec, puis tendit la main à la jeune fille pour l'aider à monter.
    —    Si vous passez sur la pointe de la chaloupe, vous éviterez de salir vos chaussures. Allez vous asseoir à l'arrière.
    Marie fit comme on le lui disait, s'assit sur le banc à la poupe de la chaloupe. Le garçon offrit ensuite sa main pour rendre le même service à Emile.
    —Je pense être encore capable de monter dans une barque sans tomber, répondit l'ecclésiastique avec humeur.
    Pour le lui prouver, il troussa sa soutane et rejoignit sa sœur. Le jeune homme empoigna ensuite l'étrave de l'embarcation pour la repousser à l'eau, souilla de nouveau ses chaussures

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