Fausta Vaincue
Margency, et j’en ai le droit. Mais je porte aussi un autre nom : je suis le chevalier de Pardaillan…
– Ah ! ah ! je m’en étais douté un instant ! grommela furieusement le messager.
Et en même temps, il jetait un regard de curiosité et d’inquiétude sur le chevalier.
– Vous me connaissez, dit Pardaillan. Tant mieux. Cela nous évitera les longs discours. Puisque vous me connaissez, monsieur le comte, vous devez savoir que votre maîtresse, votre souveraine a voulu trois ou quatre fois déjà me faire assassiner. La dernière fois, il n’y a pas longtemps, je venais de lui sauver la vie : en signe de gratitude, elle a jeté à mes trousses tous les gens d’armes du duc de Guise… J’aurais pu la tuer. C’était mon droit. Et j’en avais la possibilité. Je n’avais que le bras à allonger. Ce meurtre m’a répugné, je l’avoue. Mais ce qui ne me répugne nullement, c’est de considérer Fausta comme une intraitable ennemie, c’est de renverser ses projets autant qu’il en sera en mon pouvoir, c’est enfin de considérer ses amis et serviteurs comme mes ennemis, depuis le duc de Guise jusqu’à vous. Je lis dans vos yeux l’envie que vous avez de me tuer. Vous ne me tuerez pas, monsieur ! Et comme je ne veux pas que sa lettre arrive, comme enfin vous êtes le serviteur d’une femme qui veut ma mort, c’est moi qui vais vous tuer !…
En même temps, Pardaillan tomba en garde. Les fers se croisèrent…
Le comte Luigi, en homme habile, se tint sur la défensive. En somme, il ne s’agissait pas pour lui de tuer un adversaire et de remporter la victoire. Il s’agissait simplement d’écarter ou d’arrêter un adversaire. Il s’agissait de faire parvenir la lettre.
Pardaillan, selon son habitude, attaqua par une série de coups droits foudroyants. Le messager ne dut son salut qu’à une marche en arrière. Mais tout en rompant, il se défendait avec un courage et une habileté qui pendant quelques secondes tinrent l’assaillant en respect…
– Monsieur, dit tout à coup Pardaillan, vous me paraissez homme de cœur, et je vous dois mes excuses…
– De quoi ? fit le comte Luigi.
– De vous avoir prié de me remettre votre lettre. J’aurais dû prévoir qu’un homme comme vous peut être vaincu par la fortune, mais qu’il ne courbe pas volontairement la tête…
– Merci, monsieur, dit le messager en parant vivement une nouvelle attaque.
– Recevez donc, acheva Pardaillan, toutes mes excuses pour la proposition incongrue que je vous ai faite, et tous mes regrets d’être forcé de vous traiter en ennemi…
En même temps, il se fendit à fond. Le messager jeta un cri rauque, laissa échapper son épée, tourna sur lui-même et s’abattit…
– Holà ! grommela Pardaillan, aurais-je vraiment été assez maladroit pour le tuer…
Il s’agenouilla, défit le pourpoint du comte toscan et examina la blessure en hochant la tête. A ce moment, le blessé ouvrit les yeux.
– Monsieur, dit Pardaillan, je suis maître du champ. Je puis donc vous prendre la missive que vous portez. Mais je serais au désespoir de vous quitter en ennemi, car vous êtes un brave… Voulez-vous, de bonne volonté, me remettre cette lettre ?… Voulez-vous que nous nous séparions amis ?…
Le blessé fit péniblement un geste de la main pour désigner une poche intérieure de son pourpoint.
– La lettre est là ? dit Pardaillan.
– Oui, répondit le messager par un signe de tête.
Pardaillan la prit. Les yeux du blessé indiquèrent un profond désespoir.
– Voyons, dit Pardaillan ému de pitié, qu’est-ce que cela peut vous faire, au bout du compte ?… Vous ne craignez pas, je suppose, que j’use de cette lettre comme d’une arme contre la signorita Fausta ?
– Je le crains, murmura le blessé d’une voix à peine intelligible… Vous allez… porter… cette lettre… au roi de France… je suis un homme… déshonoré… car je suis cause… des malheurs qui vont arriver…
– Vraiment, dit Pardaillan, vous craignez cela ?…
– Oui ! fit nettement le blessé.
– Et vous ne redoutez que cela ?
– Oui !…
– Et si je vous prouve que vous vous trompez ? que je ne rendrai nullement cette missive à Valois ?…
– Pas de preuve… possible ! murmura le blessé.
– Si ! il y en a une, dit Pardaillan. Et la voici !
A ces mots, sans l’ouvrir, sans la décacheter, sans jeter un coup d’œil sur la suscription,
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