Fausta Vaincue
Pardaillan se mit à déchirer la lettre en petits morceaux. Lorsque elle eut été ainsi réduite en miettes certainement illisibles, ces fragments minuscules, il les jeta en l’air. Le vent qui balayait la falaise les saisit et les emporta d’une seule rafale dans la mer…
Pendant cette opération, le comte Luigi avait tenu attachés sur Pardaillan ses yeux pleins de stupéfaction. Puis l’étonnement fit place à une sorte d’admiration. Et d’un ton qui traduisit toute sa reconnaissance, il murmura :
– Merci, monsieur !…
Pardaillan haussa les épaules.
– Je vous ai prévenu que j’avais seulement l’intention de jouer un tour à votre Fausta. C’est fait. Quant à me servir d’une lettre tombée en mon pouvoir pour faire assassiner une femme, ce n’est pas dans mes habitudes. Cette lettre détruite n’existe plus même dans mon souvenir. Etes-vous rassuré ?…
– Oui, monsieur… et je vous bénis… de m’avoir donné… une pareille assurance… avant de mourir…
– Eh ! mordieu, vous ne mourrez pas !
Le blessé secoua tristement la tête. Puis, épuisé par les efforts qu’il venait de faire, il s’évanouit.
Pardaillan alla à son cheval et fouilla vivement l’une des fontes. Là, sous le pistolet, il y avait des bandages, de la charpie, enfin tout ce qu’il faut à un homme pour panser provisoirement une blessure.
Il ne faut pas louer Pardaillan de cette précaution. Elle était commune à tous les routiers et aventuriers de cette époque qui, exposés à en découdre tous les jours, emportaient généralement dans leur bagage de quoi se soigner en cas de blessure non mortelle.
Pardaillan, donc, se mit à dégringoler la falaise par un sentier presque à pic, mouilla dans l’eau de mer un fort tampon de charpie, remonta au pas de charge, lava la blessure, y appliqua de la charpie et banda le tout le plus proprement du monde.
Le blessé, soulagé par ces soins et par la fraîcheur, revint à lui.
– C’est de l’eau salée, dit Pardaillan. Cela pique. Mais ce n’est que meilleur. Maintenant, monsieur, attention. Je vais vous soulever et vous placer sur mon cheval… mais pourquoi diable ne m’avez-vous pas remis la lettre avant d’en arriver à ces extrémités ?…
Pardaillan se baissa, plaça ses mains sous les reins du blessé et, agissant à la fois avec douceur et avec force, le souleva et l’assit sur le cheval.
– Pouvez-vous tenir ainsi jusqu’à Gravelines ? dit-il.
– Je le crois…
– En route donc. Si vous vous affaiblissez, appelez-moi…
Et traînant son cheval par la bride, se retournant tous les deux pas pour examiner son blessé, Pardaillan se mit en chemin au petit pas. Vingt minutes plus tard, il atteignait les premières maisons du village.
Gravelines ne se composait que d’une trentaine de cabanes de pêcheurs. Mais l’entrée de ce cheval ramenant un blessé avait attiré autour de Pardaillan quelques bonnes femmes et une bande effarée de marmots.
– L’auberge ? demanda Pardaillan.
– Il n’y a pas d’auberge ! fit l’une des femmes.
– Qui d’entre vous veut gagner dix écus ? reprit alors Pardaillan.
– Moi, dit la femme qui venait de parler. Si c’est pour loger et soigner ce cavalier, je m’en charge.
– Où demeurez-vous, ma brave femme ?
– Là ! dit-elle en désignant la chaumière devant laquelle le groupe était arrêté.
Le blessé fut descendu, transporté devant la chaumière, couché sur un matelas de varech.
– Y a-t-il un chirurgien ? un médecin ? demanda Pardaillan.
– Non, mais nous avons le sorcier.
– Le sorcier ?…
– Oui. Un vieux qui sait tout, qui guérit les fièvres, redresse les foulures, et sait l’art de soigner les blessures tant des armes à feu que des armes blanches…
A ce moment, celui que dans le village on appelait le sorcier, prévenu sans doute de l’événement, faisait son entrée dans la chaumière. C’était un vieillard à physionomie intelligente, à l’œil vif et malicieux. Sans rien dire, il s’agenouilla près du blessé et défit les bandages, puis se mit à examiner la plaie.
A l’adresse que déploya cet homme, Pardaillan vit bien qu’il était expert en la matière. Au bout de dix minutes d’examen pendant lesquelles le blessé perdit de nouveau connaissance, le sorcier remit le bandage en place et se releva.
– Qu’en dites-vous, monsieur ? demanda Pardaillan.
– Je dis que c’est fort grave.
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