Fausta Vaincue
vie. Mais si cela dépend de moi, Pardaillan, Jacques Clément ne frappera pas le roi. Ce n’est pas cela que je voulais !…
– Ainsi, monseigneur, si vous le pouvez, vous arrêterez le bras du moine ?
– Je l’arrêterai, dit Charles sourdement.
Pardaillan hocha la tête, et, dans l’ombre, ses yeux brillèrent d’une malicieuse satisfaction.
– Allons ! murmura-t-il, Guise n’est pas encore roi de France !
– Que voulez-vous dire ? balbutia le duc d’Angoulême.
Pardaillan saisit le bras du jeune homme, qu’il serra fortement. D’un signe, il lui montra la porte de l’hôtel qui s’ouvrait à ce moment, livrant passage à un moine encapuchonné qui sortit, et lentement s’avançait vers eux.
– Je veux dire, reprit-il froidement, que vous tenez en ce moment le sort du royaume et de la chrétienté dans vos mains, monseigneur. Voyez cet homme qui vient à nous. S’il passe, il marche au meurtre… demain, votre oncle Henri III est poignardé, demain le duc de Guise est roi… Monseigneur, voici la destinée qui passe ! Un geste de vous, et la fortune du monde est changée… Mais je vous laisse faire et je regarde… Faites ou ne faites pas le geste !
Le moine arrivait à leur hauteur. Pardaillan se renfonça contre le mur et se croisa les bras. Le moine passait… Charles d’Angoulême eut un long frémissement, puis, secouant tout à coup la tête comme pour rejeter des objections, il fit deux pas rapides, posa sa main sur l’épaule de l’homme et dit :
Hé là ! sire moine, deux mots, s’il vous plaît !…
Pardaillan eut un rire silencieux et songea :
– Dormez en paix, roi de France ! Le fils de Marie Touchet veille sur vous !…
Le moine s’était arrêté, avait relevé sa tête penchée, et avec cet étonnement dédaigneux de l’homme qui se sait protégé par les destins supérieurs et que rien ne peut empêcher d’arriver au but fatal, disait :
– Que me voulez-vous ? Si vous en voulez à ma bourse, je vous préviens que je ne porte rien sur moi qui puisse tenter la cupidité du plus misérable truand. Si vous en voulez à ma vie, je vous préviens que vous vous attaquez à une chose qui n’est ni à moi, ni à vous, ni à personne.
– Je n’en veux ni à votre bourse ni à votre vie, dit le duc d’Angoulême. Je veux seulement vous prier de m’accorder quelques minutes d’entretien dans un lieu où nous puissions à l’aise moi vous dire et vous écouter ce que j’ai à vous communiquer.
– Passez donc au large, gronda le moine de ce ton de glaciale et sinistre solennité qui semblait naturel chez lui. Passez au large, car cette nuit je ne puis avoir d’entretien qu’avec Dieu !…
Pardaillan, à ce moment, s’avança rapidement devant le moine qui se mettait en marche, et de sa voix la plus joyeuse s’écria :
– Eh quoi ! vous vous refusez donc à vous reposer un instant avec des amis, messire Jacques Clément ?
Le moine tressaillit ; une joie profonde détendit ses traits d’ivoire et colora son front ; son regard s’illumina ; il tendit la main.
– Le chevalier de Pardaillan ! fit-il d’une voix changée, humanisée par une sorte de tendresse.
Et monseigneur le duc d’Angoulême, dit Pardaillan.
– Deux victimes de la vieille Catherine et d’Hérode ! Deux qui se réjouiront de voir couler le sang du dernier des Valois sur les dalles de la cathédrale ! murmura Jacques Clément. Oui, parvenu au bout de ma route, je puis me reposer un instant parmi vous, car je renforcerai ma haine de vos deux haines…
– Venez donc, fit simplement le chevalier. Que diable, même en temps de procession, un verre de vin n’a jamais fait peur à un moine !
Jacques Clément fit signe qu’il acceptait l’invitation, et tous trois se dirigèrent vers la petite auberge close, aveugle et muette à cette heure. Mais comme l’avait promis la servante, il n’y eut qu’à pousser la porte des écuries voisines. Les écuries franchies, les trois hommes se trouvèrent dans la cour ; un escalier de bois grimpait extérieurement le long du mur et aboutissait à un balcon. La porte de la chambre s’ouvrait sur ce balcon. Quelques instants plus tard, ils étaient assis autour d’une table qu’éclairait une chandelle fumeuse et sur laquelle se trouvaient quelques bouteilles d’un certain vin très estimé dans tout le pays et qui se récoltait sur les bords de la Loire, autour de Beaugency.
Pardaillan remplit
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