Fausta Vaincue
plongeait dans l’eau et dont l’autre partait en diagonale pour aller soutenir le plancher de la salle où se tenait le trou carré… l’entrée de la nasse. J’avais dormi. Comment ? Je n’en sait rien, mais je cois qu’il m’eut été impossible de ne pas dormir, tant j’avais la tête fatiguée au moment où, pour éviter les cadavres, j’atteignis la fourche. Alors, je vis qu’il faisait à peu près jour ; la lumière entrait par-dessus le plancher qui était au-dessus de ma tête, et je vis que j’étais entouré de poutres qui s’enlaçaient comme les madriers d’un échafaudage : « Pardieu ! me dis-je, je n’ai qu’à gagner de poutre en poutre jusqu’à l’extérieur ! » Et je me suis mis en chemin, c’est-à-dire que je voulus gagner la poutre voisine qui me rapprochait de la grande ouverture par où coulaient tout à la fois l’eau du fleuve et la lumière du jour. Ce fut alors que je me heurtais au treillis de fer… J’avais oublié la nasse !…
Charles vida son verre, comme pour se donner le courage d’entendre ce récit.
– Alors, continua Pardaillan, j’examinai cette machine à prendre les hommes. Et je vis que j’étais perdu. En effet, la nasse formait comme un puits en treillis de fer, qui partait du plancher même pour aller plonger dans l’eau. Je dus abandonner l’idée qui m’était venue de me hisser de maille en maille pour arriver à passer par-dessus, puisque, en me hissant, j’aboutissais au plancher. L’idée inverse me parut la bonne : c’est-à-dire que je m’accrochais aux mailles, et que je me mis à descendre, dans l’espoir que je pourrais passer par-dessous en plongeant. Arrivé au ras de l’eau, je fus heurté de nouveau par les cadavres. Mais je fusse passé à travers une légion de fantômes d’enfer. Je sentais ma gorge en feu et mes cheveux se hérisser sur ma tête ; j’avais une soif à vider un tonneau ; mais, la seule pensée de m’humecter seulement les lèvres avec cette eau où les cadavres avaient dansé toute la nuit me donnait d’insupportables nausées. Enfin, comprenant que la folie allait me gagner si je ne sortais au plus tôt, je me laissai glisser parmi les cadavres. Et alors, oh ! alors, je compris pourquoi les cadavres ne s’en allaient pas, pourquoi ils ne plongeaient pas !… Lorsque j’eus de l’eau jusqu’aux épaules, je sentis avec mes pieds que, de toutes parts, le treillis de fer se rejoignait dans l’eau et que cela formait comme le fond d’une bouteille !… Pas moyen de sortir par en haut ! Pas moyen de sortir par en bas !… Je me hissai le long des mailles de fer pour éviter l’attouchement des cadavres, et, accroché à une certaine hauteur, je m’arrêtai, et j’eus la pleine horreur de ma situation : j’étais destiné à mourir lentement dans ce puits de fer !…
– C’est horrible ! dit Charles en frémissant.
– Justement. Comme vous dites, c’était horrible, et je voudrais bien voir la figure que ferait Mme Fausta si elle se trouvait dans une situation pareille… Je n’avais plus de souffle, plus de pensée, plus rien en moi qu’une sorte de sentiment de vertige, si bien qu’après quelques heures je pris la résolution de grimper jusqu’en haut et de frapper au plancher jusqu’à ce qu’on m’entendit, jusqu’à ce qu’on achevât de me tuer !
– Et comment êtes-vous sorti ? demanda Charles avec une sorte d’avidité.
Pardaillan se mit à rire et répondit :
– C’est bien simple ; je suis sorti avec les cadavres.
– Avec les cadavres !… Oh ! mon ami, je vous écoute ; et il me semble entendre le récit d’un rêve fantastique, d’un hideux cauchemar !
– C’est à peu près l’effet que cela me produit à moi-même, dit Pardaillan. Je n’y pensais plus, aux cadavres ! Heureusement, Fausta y pensait, elle ! Sans doute, cela ne devait pas lui être fort agréable de dormir au-dessus de ces morts. Pour cette raison, ou pour d’autres, il est certain que si les morts étaient prisonniers dans la nasse, Fausta devait avoir la pensée de leur rendre la liberté. Et comment rendre libres ces cadavres prisonniers ? En les repêchant l’un après l’autre ? Non, non ! Fausta est la femme des combinaisons simples ! Pour délivrer les morts, il n’y avait qu’à les laisser partir au fil de l’eau !
Pardaillan se mit à rire, puis jeta à l’extérieur un coup d’œil inquiet.
– Il ne faut pas manquer la
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