Favorites et dames de coeur
d’Estrées, qui n’était pas composée d’enfants de chœur, s’aperçut des avantages qu’elle tirerait d’une liaison entre Gabrielle et Henri IV. Antoine, le père, Diane, la sœur aînée, et Sourdis, l’oncle, se chargèrent de vaincre les derniers scrupules de la cadette : la fortune et le prestige de la famille se trouvaient entre ses jambes, endroit un peu inattendu, il faut bien le dire…
À roi fort, homme faible
Respectivement chassés de Chartres et de La Fère par les ligueurs, François de Sourdis et Antoine d’Estrées passaient dans l’entourage gouvernemental pour ce qu’ils étaient : deux fieffés incapables. Ils tenaient à se racheter aux yeux du roi et à recouvrer leur autorité perdue. Mais il eût fallu pour cela qu’Henri modifiât le plan de son Conseil. Celui-ci préconisait la prise de Rouen, carrefour fluvial et routier de premier ordre, et mal défendu. Or, les deux compères voyaient le roi prêt à toutes les folies pour fourrer Gabrielle dans son lit. Ils la chapitrèrent comme il fallait ; elle s’évertua ensuite à démontrer à Henri IV que deux objectifs plutôt secondaires, par exemple Chartres et La Fère, présentaient une portée stratégique supérieure à la capitale de la plus riche province française ! Elle promit dans ce cas d’autres félicités moins guerrières au roi, qui ne demandait qu’à être convaincu. Au grand dam de ses conseillers, l’armée royale assiégea Chartres et s’y épuisa, payant cher la prise d’une ville d’intérêt relatif (février-avril 1591). Mais choses promises, choses dues : Sourdis retrouva son poste de gouverneur et Gabrielle chut dans les bras d’Henri, version moderne des délices de Capoue. Toujours insoucieux de Rouen, le roi prit la petite place de Noyon à défaut de La Fère, la confia à Estrées (17 août), et s’accorda une nouvelle pinte de bon temps avec sa fille. Ses conseillers s’arrachant les cheveux, il leur céda d’assez mauvaise grâce, et ordonna enfin le siège de Rouen. Un peu tard : les ligueurs avaient profité de son inaction coupable pour renforcer la défense (décembre). L’affaire traîna en longueur et les Espagnols, alliés de la Ligue, obligèrent l’armée royale à décamper piteusement (février-mai 1592).
À cause d’une femme qui ne l’aimait pas, le méprisait et n’hésitait pas à le tromper, Henri avait montré une déplorable faiblesse de caractère, liée à une sensualité qui annihilait son esprit de décision : « Je suis et serai jusqu’au tombeau votre fidèle esclave », écrivit-il à la jeune femme, ajoutant : « Je ne sais de quel charme vous avez usé » (1592). Il avait surtout perdu de bons soldats et une occasion unique de conquérir la Normandie. Pire, il n’avait plus d’argent, et la guerre civile continuait. Il tut les critiques justifiées de ses proches, en mariant sa favorite à Nicolas d’Amerval, impuissant notoire. De son côté, il se consola avec une demoiselle La Raverie, qui lui laissa un cuisant souvenir, et dont le prédicateur parisien Roze fit des gorges chaudes : « Pendant que cette sainte reine 65 est enfermée entre quatre murailles, son mari a un haras de femmes et de putains, mais […] il en a bien été payé et en a les parties bien échauffées » (octobre 1592).
L ’ enjeu de la couronne
Ces déboires tant physiques que moraux poussèrent le roi à réfléchir. Il entama une tractation avec Marguerite de Valois en vue de leur séparation définitive. Dès lors, le clan Estrées imagina de remarier Henri à Gabrielle, sans que cette mésalliance lui sautât aux yeux. La perspective de la couronne modifia l’humeur de Gabrielle : d’habitude distante et froide, elle se fit soudain plus tendre et plus voluptueuse. Mais l’union envisagée ne serait possible qu’une fois Henri converti au catholicisme.
Pour d’évidents motifs politiques, les conseillers du roi, catholiques et protestants confondus, le poussèrent vers la conversion : elle renforcerait sa légitimité jusqu’ici bancale aux yeux des Français. Mais la Ligue voulut le prendre de vitesse : elle convoqua les états généraux, qui réclamèrent un roi « catholique et fils obéissant de l’Église », quel qu’il fût (janvier 1593) ; Henri IV risquait tout bonnement de perdre son trône au profit d’un compétiteur surgi de nulle part. Il ne serait d’ailleurs roi de France qu’à Paris. François d’O, son
Weitere Kostenlose Bücher