Favorites et dames de coeur
infligeait de véritables scènes de ménage pour qu’il cédât à ses caprices. Érigeant son marquisat de Montceaux en duché-pairie, il la créa duchesse de Beaufort, ce qui lui valut le détestable surnom de « duchesse d’ordure » (1597). Cela n’arrêta pas son influence, qui s’étendit aux nominations, le roi exigeant que tout individu promu à une charge importante vînt remercier la favorite (fin 1598).
Ce nonobstant, Gabrielle d’Estrées souffla au Vert-Galant quelques bonnes idées, sans jamais perdre de vue son intérêt : sa médiation avec le président Jeannin, porte-parole officieux des ligueurs, amena la soumission du duc de Mayenne ; elle y gagna un fastueux cadeau d’Henri IV et le soutien des ligueurs ralliés. Ceux-ci lui promirent de reconnaître son fils César héritier du trône à la place des prétendants légitimes Condé et Conti, si le roi mourait. La « décriée bagasse » devint l’« a nge de la paix », plus pour l’entourage immédiat du roi que pour l’opinion, car un quatrain peu flatteur courut « sur le bel ange du Roi » :
N’est-ce pas une chose étrange
De voir un grand roi, serviteur
Des femmes, vivre sans honneur
Et d’une putain faire un ange ?
Gabrielle provoqua la colère des conseillers royaux quand elle afficha son ambition haut et fort, annonçant un peu vite que « rien ne serait si aisé que de changer un bâtard en prince légitime ». Elle fut plus avisée quand elle favorisa la nomination de Rosny à la surintendance des finances (1596), où il ne relèverait que du roi. Certes, Rosny avait rendu quelques services à Gabrielle et elle espérait qu’il soutiendrait son idée de mariage avec Henri IV, mais le choix se révéla judicieux pour le pays. Gabrielle ménagea aussi le camp huguenot, qui lui promit, à l’instar des ligueurs, la reconnaissance de César Monsieur. Rusée et non dénuée d’intelligence, elle réussit un superbe « doublé » : elle maria son fils à la fille unique du duc de Mercœur, dernier chef ligueur rallié, et lui fit attribuer le duché de Vendôme. Or, cette terre appartenait à la sœur du roi, Catherine de Bourbon : celle-ci accepta la cession, à condition d’accorder des garanties pour les protestants, qui furent agrégées à l’édit de Nantes (13 avril-2 mai 1598). Ainsi, l’édit de tolérance fut-il un peu l’œuvre de Gabrielle, sans qu’elle l’eût vraiment cherché…
La favorite atteignit le zénith de son influence. Elle triompha avec la naissance concomitante de son dernier enfant (19 avril 1598), reçut à cette occasion une manne de revenus prélevés sur les impôts indirects et obtint la disgrâce d’un des plus fidèles serviteurs du roi, le baron de Sancy, qui lui était hostile. On la recevait en reine partout où elle passait ; à l’occasion du banquet de l’Hôtel de Ville de Paris, fêtant la paix de Vervins avec l’Espagne, elle eut droit aux honneurs habituellement dus à une souveraine (23 juin 1598). Elle nourrissait depuis peu de plus tendres pensées pour le monarque…
Un projet controversé
Henri commençait à prêter l’oreille à l’opinion, mais voulait hâter la procédure de divorce avec Margot. La question cessa d’être intime et devint internationale, car les milieux politiques proposèrent d’unir le roi à Marie de Médicis, fille du grand-duc de Toscane : « Le roi […] ne pourra viser ailleurs qu’à Florence s’il ne veut pas s’engager dans une voie indigne », nota son ambassadeur à Paris. Petite-nièce de Charles Quint, Marie de Médicis était la candidate idéale : les partisans du rapprochement avec l’Espagne prônaient l’union des Bourbons et des Habsbourg. Bien qu’hostile à l’Espagne, le pape Clément VIII, allié d’Henri IV, approuvait l’idée de ce mariage, et ne dissimulait pas son hostilité à toute mésalliance entre le roi et Mlle d’Estrées : « Ce serait chose extravagante, le peuple de France n’ayant pas l’habitude de supporter des taches sur ses rois. » Le pape ne se pressa donc pas d’annuler le précédent mariage avec Margot, qui refusait d’ailleurs de céder sa place à la « duchesse d’ordure ». Enfin, Rosny représenta au roi les querelles de succession qui ne manqueraient pas de diviser les enfants naturels légitimés et ceux, légitimes, nés après un mariage avec Gabrielle. Les risques de reprise de la guerre civile étaient patents, alors que le
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