Favorites et dames de coeur
réside moins dans une énumération que dans le cocuage du roi, de notoriété publique. Interrogé par Henri IV, qui se promenait incognito, un pauvre batelier parisien lui aurait répondu ses quatre vérités : « Le roi est assez bon homme […] mais il a une méchante putain qui nous ruine tous […]. Encore si elle lui appartenait à lui seul ! Mais on raconte qu’il y en a beaucoup d’autres…» (1598).
Gabrielle est-elle morte empoisonnée ?
Il était coutumier de subodorer le crime dès que la mort d’une personnalité ne trouvait pas d’explication immédiate ; ces décès restaient souvent mystérieux faute de connaissances médicales. On prétendit que le citron mangé par Gabrielle chez Zamet – un ami intime – était empoisonné. Plusieurs personnes avaient certes intérêt à ce que son mariage avec Henri IV ne se fît point ; l’équilibre du royaume commandait même de l’éviter à tout prix, car une crise intérieure aurait engendré une crise européenne. Ces considérations rendent plausible la thèse de l’empoisonnement, mais ne la prouvent pas.
Pour toute autre femme que Gabrielle, la mort aurait paru naturelle précisément parce qu’elle l’était. Pourquoi pas pour elle ? On ignorait au XVI e siècle les symptômes de l’éclampsie, maladie fatale au nouveau-né et à la mère, qui survient dans le dernier tiers de la grossesse. L’acidité du fameux citron a peut-être servi de révélateur ultime d’un état irréversible.
Une lignée d’artilleurs
Gabrielle était la petite-fille de Jean d’Estrées (1487-1571), grand maître et capitaine général de l’artillerie de 1550 à 1569. Ce vétéran des guerres d’Italie fut l’un des artisans de la reconquête de Calais : ses 33 canons lourds eurent raison des forts et des remparts (janvier 1558).
Lieutenant de son père, Antoine d’Estrées brigua sa succession, mais Charles IX lui préféra le duc de Gontaut-Biron (1569). À défaut de diriger l’arme savante, Antoine en apprit plus tard les rudiments à sa fille Gabrielle, qui eût fait un bon chef de pièce : elle connaissait les six calibres réglementaires et leurs caractéristiques, pointait le canon et maniait l’écouvillon d’une main sûre 73 . Au plus fort de sa faveur, elle obtint du roi la nomination de son père à la charge de grand maître : le titulaire du moment venait d’être tué devant Amiens (septembre 1597). Alors septuagénaire, Antoine d’Estrées demeura peu en poste : sept mois après le décès de Gabrielle, il dut se démettre de sa charge au profit de Rosny (13 novembre 1599).
HENRIETTE D’ENTRAGUES
« Une franche putain et une belle garce » (Sully)
Née en 1579 à Orléans. Premier enfant de François de Balzac d’Entragues, gouverneur d’Orléans, et de Marie Touchet, ancienne favorite de Charles IX.
Elle eut trois enfants de sa liaison avec Henri IV : un garçon mort à la naissance (1600), Gaston-Henri (1601) et Gabrielle-Angélique (1603), légitimés par le roi.
« Un clou chasse l’autre…»
La fin brutale de Gabrielle d’Estrées plongea Henri IV dans l’affliction : « La racine de mon amour est morte, elle ne rejettera plus », écrivit-il à sa sœur Catherine de Bourbon (15 avril 1599). Aînée de la disparue, Julienne d’Estrées 74 eut volontiers pris la suite de sa cadette, mais le roi ne tint pas à raviver le souvenir de la défunte dans les bras d’une femme que tous ses contemporains disaient nymphomane.
La tristesse du Vert-Galant fut toutefois brève, les peines de cœur durant peu chez lui. Son entourage lui conseilla de prendre une autre maîtresse et son choix se porta sur la brune Henriette d’Entragues (juin 1599).
Celle-ci était apparue pour la première fois à la cour lors d’un bal fêtant la guérison d’une maladie vénérienne du roi ; les ballets très suggestifs, à faire rougir un corps de garde, avaient fort diverti Henri, friand de gauloiseries (5 novembre 1598). Parmi les plus jolies femmes de l’assistance, il avait remarqué cette Henriette. Dès que le roi s’éprit d’elle, Henriette sut magnifiquement se vendre, avec l’aide de son intrigant géniteur et de son demi-frère Charles d’Angoulême.
Un royal « pigeon » à plumer
Instruite, plus intelligente que Gabrielle d’Estrées, mais aussi avide qu’elle, l’effrontée Henriette capta les sens du Vert-Galant, les attisa, et le lia aussi solidement que l’avait fait le
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