Favorites et dames de coeur
elle comme avec un ami 86 . » Jaloux, le roi ne voulait pas prêter le flanc à la médisance ; il souffrait déjà d’un complexe d’infériorité dû à son bégaiement. Il fit de louables efforts pour plaire à Marie : d’habitude peu coquet, il s’habilla avec recherche ; guère doué pour la conversation, hors les sujets portant sur la chasse et les animaux, il se rattrapa par ses dons manuels et artistiques. Il donna, en l’honneur de Marie, des ballets qu’il avait apprêtés et où il tenait un rôle, des concerts avec les musiciens de la Chambre, des farces et des pièces de théâtre, des feux d’artifice.
Le caractère de la favorite différait en maints points de celui de son royal soupirant : fine, instruite, de repartie prompte et moqueuse, Marie était altière mais sociable et naturelle, alors que Louis XIII fuyait la vie mondaine. La cour l’appréciait : en novembre 1631, chacun s’inquiéta de sa santé alors qu’elle était malade. Elle ressemblait au roi par sa dignité et le respect qu’elle avait de leurs positions respectives : l’affection de Louis ne lui tourna pas la tête, et elle ne chercha pas, contrairement à tant d’autres, à profiter de sa situation. Bien qu’elle eut de l’ambition, sa nature désintéressée lui interdisait de quémander pour son propre compte et elle donnait ses robes ou ses meubles à ceux qui en étaient démunis. Elle obtint quelques faveurs pour les siens, toujours dans des proportions raisonnables, car son sens élevé de l’honneur l’empêchait de réclamer au-delà du nécessaire.
L’amour courtois, éthéré, de Louis XIII trompa les chansonniers, habitués à des liaisons plus coquines :
Hautefort la merveille
Réveille
Tous les sens de Louis…
Hélas, les « sens » du roi semblaient bien anesthésiés, ce que Boisrobert 87 rima ainsi :
Je l’aime sans désir : mais jamais langueur
Ne vient troubler ma vie,
Ô bienheureuse flamme
Qui conservez l’amour et la paix dans mon âme.
Des amours compliquées
Louis XIII se rendit-il compte qu’il avait allumé chez Marie quelque sentiment, sinon quelque reconnaissance, qu’elle lui aurait volontiers prouvé ailleurs que dans le salon de la reine ? Elle était jeune, belle et désirable. Bon danseur et excellent cavalier, il ne manquait pas d’allure. Mais pour le roi, la possession chamelle portait la marque du péché. L’incompréhension entre la favorite, peut-être prête à céder, et un monarque qui ne le voulait pas, suscita des fâcheries suivies de réconciliations. Ces scènes puériles devenaient de véritables affaires d’État, car Louis XIII confiait ses affaires de cœur à Richelieu. Le cardinal se servait de Mlle de Hautefort et jouait les consolateurs, le cas échéant. Le roi appelait Marie « l’inclination » quand leurs rapports allaient bien, et « la créature » quand il y avait de la dispute dans l’air.
Le mémorialiste Tallemant des Réaux raconta une cocasse histoire : un jour, le roi aurait surpris Marie lisant une lettre et la pria de la lui montrer ; elle refusa avec un sourire mutin et, comme il insistait, elle la replia, l’enfonça dans son décolleté, disant : « Si vous le voulez, vous le prendrez donc là ! » La lettre servait de prétexte à cette claire invitation : il lui fallait passer à l’acte 88 . Louis XIII rougit comme une pivoine : il n’osa pas mettre la main là où Henri IV, ou tout homme normal, l’aurait plongée jusqu’au coude, progressivement, sans hésiter. Saisissant les pincettes de la cheminée, il farfouilla vainement dans le corsage de Marie ! On moqua gaillardement la timidité royale à la cour comme à la ville, pas trop haut toutefois, la Bastille n’étant guère éloignée :
Malheureuse Hautefort […]
Lorsque le temps est froid
Et lui 89 rougit les doigts
D ’ engelures, Il souffle ou il se frotte
Pour se chauffer un brin ;
Mais jamais sous ta cotte
Il n ’ a glissé la main […]
François de La Rochefoucauld confirma le fait dans ses Mémoires : « La vertu de cette jeune personne ne fut jamais attaquée. » Pauvre Marie !
Marie conspiratrice
Louis XIII n’aimait pas la femme que la politique lui avait donnée et les rapports du couple royal étaient plutôt conflictuels. Aussi, lorsque Marie de Hautefort entra à son service, fin 1630 ou début 1631, Anne d’Autriche se méfia d’abord d’elle, la prenant pour une espionne, sinon une rivale.
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