FBI

de la police de la ville, qu’ils font et défont les conseils municipaux, arrangent les procès de correctionnelle et d’assises. Il faut passer par des intermédiaires avant de pouvoir les rencontrer. Les plus chanceux ont le droit de déjeuner avec eux. Policiers, politiciens, industriels et mafieux s’y pressent avec la même ferveur que s’ils étaient à Camelot. De crainte d’être écouté, on évite de parler affaires à table. Pour ça, il y a des endroits plus sûrs, comme la rue ou les toilettes de grands restaurants. Quand les parrains de l’« Entreprise » veulent rencontrer Pat Marcy, ils passent le seuil du restaurant, font un petit tour avant de ressortir par une issue discrète qui donne dans le lobby d’un immeuble. Marcy les y suit et va les retrouver dans des bureaux anonymes, après avoir traversé un dédale de couloirs, voire dans des cagibis réservés au concierge de l’immeuble.
    « Pat Marcy était essentiel pour l’“Entreprise”, souligne Robert Cooley : il était le seul lien entre les parrains de la Mafia et les responsables qui les aidaient à contrôler Chicago. »
    Quand Robert Cooley est convoqué par Pat Marcy, il ne se fait pas prier pour s’asseoir autour de la « table de la Première Circonscription ». Puis il est invité aux repas du jeudi soir qui rassemblent le premier cercle des hommes de Marcy. En raison de ses contacts au sein de la police et du Palais de Justice, Robert Cooley est au courant des derniers ragots. Il est aussi de bon conseil quand il explique quelles précautions prendre pour éviter d’être enregistré par le FBI, ou encore comment se comporter pour minimiser les dégâts en cas de flagrant délit. Cooley a la réputation d’arranger les affaires grâce aux juges qu’il contrôle. Pat Marcy a un dossier très délicat à lui confier : celui de Harry Aleman, dit « la Machine à tuer ». Le FBI lui impute une vingtaine d’assassinats. C’est un des tueurs les plus cruels de l’« Entreprise ».
    Le scandale Aleman
     
    Harry Aleman est accusé d’avoir tué, le 27 septembre 1972, William Logan, chauffeur-livreur responsable syndical des Teamsters . Des témoins l’ont identifié. La police de Chicago l’arrête avant de le remettre en liberté sous caution. Comme tous les mafieux de la ville, Harry Aleman a de puissants protecteurs. Son procès s’ouvre peu après dans un climat d’extrême tension. Les témoins sont toujours certains d’avoir reconnu le tueur. L’un d’entre eux, Robert Lowe, explique même le mobile de l’assassinat : le responsable syndical refusait de donner des informations sur le trajet de camions que l’« Entreprise » souhaitait piller. Lowe reçoit des menaces de mort. Les juges et les enquêteurs aussi. Aleman est acquitté. Le procureur fait appel.
    En attendant de retourner devant les tribunaux, Harry Aleman reprend ses activités. Il remet au pas les organisateurs de paris indépendants et les force à payer une taxe à l’« Entreprise ». Le 19 juin 1975, il fait partie du commando qui assassine l’ancien dirigeant de l’« Entreprise », Sam Giancana, alors qu’il allait être entendu par la commission du Sénat chargée d’enquêter sur les grands assassinats des années 1960 (John F. Kennedy, Robert F. Kennedy et Martin Luther King Jr.).
    Le procès en appel est fixé pour le mois de mai 1977. Pat Marcy a besoin de quelqu’un pour « arranger » ce procès. Autrement dit, il lui faut trouver un juge vénal. « Si tu n’as personne, ça n’est pas un problème, dit Pat Marcy à Robert Cooley. Mais si tu n’as personne, ne t’avise pas de dire le contraire. Des gens très puissants sont soucieux de l’avenir d’Aleman. Si tu dis que tu peux le faire, tu ne pourras pas revenir en arrière. »
    Robert Cooley connaît un juge qui pourrait s’occuper du dossier : son ami le juge Frank Wilson. Ce magistrat vient régulièrement manger dans le restaurant italien de Cooley. À l’issue d’un repas bien arrosé, l’avocat l’entraîne dans les toilettes et, après avoir vérifié qu’elles sont désertes, lui dit :
    « On m’a demandé de trouver un juge qui puisse s’occuper d’une affaire de meurtre.
    – Tu veux parler de Harry Aleman ? » répond Wilson.
    Celui-ci connaît bien le dossier : il aurait dû s’en charger, mais l’avocat de Harry Aleman s’est opposé à ce que l’affaire lui échoie, ainsi que la loi américaine l’y