Fidel Castro une vie
époque, avisent leurs ressortissants d’évacuer leurs familles. Castro voit là le prélude à une invasion. Tout octobre 1960 sera ainsi très tendu. Le 18, Washington a décrété l’embargo. L’un des objectifs est de priver l’île de pièces de rechange pour les matériels d’origine américaine, fort abondants. Ce « blocus », comme on dit depuis à Cuba, dure encore plus d’un demi-siècle plus tard et constitue un grief constamment tisonné par Castro. Le 18 octobre aussi, l’ambassadeur Bonsal quitte La Havane. Le lendemain, Fidel décrète la mobilisation. En liaison avec une série d’attentats urbains, les maquis de l’Escambray ont redoublé d’activité. Un débarquement en Oriente, annoncé par la presse le 6 octobre, impressionne les gens. Le lendemain, aidés par des militaires, quinze officiers condamnés en même temps que Matos s’évadent.
Alors Fidel lance une vaste offensive en Escambray. Cent mille membres des CDR et de la milice de l’Inra y sont employés. Les«cédéristes » se voient assigner une position aux points de passage vers la montagne ; ils creusent un abri et veillent ; la nourriture leur est apportée chaque jour. Ça, c’est l’« anneau » (
anillo
). Cependant, des miliciens ratissent le terrain : ça, c’est le « cercle » (
cerco
). Raúl a, plus tard, expliqué qu’il y avait eu, ensemble, plus de trois mille cinq cents « bandits » dans tout le pays.
Ce qui préoccupe Fidel, c’est que des paysans sont au cœur de cette contre-révolution. Les cadres en sont d’ex-guérilleros antibatistiens puisque l’Escambray avait été « travaillé » en 1958 par le second front, très anticommuniste, de Gutiérrez Menoyo. Des chefs de guérilla locaux prestigieux, comme Osvaldo Ramírez, ont repris du service. La CIA aide certains des cent soixante-dix-neuf groupes recensés par Castro ; elle parachute vivres et armes, et infiltre des volontaires à bord d’hydroglisseurs. De part et d’autre, pas de quartier. Des miliciens sont retrouvés pendus. Les paysans sont regroupés dans des « hameaux stratégiques ». Selon Raúl, cinq cents gouvernementaux mourront dans ces opérations – dont le médecin de Castro, le commandant Fajardo. On ne sait si c’est lui qui avait eu l’idée de faire autopsier les cadavres pour savoir quelle nourriture avait été ingérée et en tirer des informations sur les soutiens locaux aux
contras
. Fidel intervient pour limiter les tortures. Toute cette fin d’automne et l’hiver seront marqués de sérieux combats. C’est une mini-guerre civile, sans aucun doute. Mais la supériorité des castristes est acquise dès avant le printemps 1961. Cependant, des accrochages auront lieu jusqu’à la fin de 1965. Et le régime procédera à une rééducation des habitants de la région.
Nombre d’opposants connus, « urbains » ou guérilleros, seront arrêtés cet automne 1960 : le commandant d’origine américaine William Morgan, l’ex-secrétaire M-26 de la Confédération syndicale David Salvador, l’ancien ministre de l’Agriculture Humberto Sorí-Marín. Un personnage obscur, Armando Valladares, policier de Batista, tombe également après la découverte d’un arsenal : condamné à trente ans de prison, dont il fera vingt-deux, il se rendra célèbre pour sa résistance à la discipline carcérale.
Cependant la campagne de l’Église a repris, après l’accalmie de l’été. De nouvelles lettres pastorales sont publiéesen octobre, novembre et décembre 1960. Celle de M gr Pérez Serántes déclare : « C’est Rome ou Moscou. » De son exhortation, on retient cette formule : « Cuba oui, communisme non, esclaves jamais. » L’adresse de M gr Boza Masvidal est la plus articulée. Elle fait le compte des griefs contre la Révolution. Celle-ci tolère la religion comme un mal nécessaire, elle incite à la haine de classe, elle refuse de reconnaître la dignité de la personne humaine – puisque est désormais méconnu le droit de parler, de penser, d’écrire –, elle attente au « droit naturel de la propriété », elle discrédite ses ennemis en les insultant, elle attaque systématiquement les États-Unis, l’Occident, et elle entretient une amitié de plus en plus étroite avec l’Union soviétique et ses alliés. Fidel, chaque fois, rétorque vivement : « Ceux qui critiquent la Révolution recrucifient le Christ. » À l’invite à dénoncer le communisme, il répond par ce qui est devenu un
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