Fidel Castro une vie
slogan : « Être anticommuniste, c’est être antirévolutionnaire. »
Le 9 novembre a lieu l’une des dernières manifestations hostiles au régime. Un millier d’ouvriers électriciens défilent en scandant : «
Cuba sí, Russia no
. » Leur syndicat refuse sa « normalisation », qui a commencé avec la nationalisation du 6 août. Cinq semaines plus tard, Amaury Fraginals, leur leader, est destitué par la CTC. Il sera arrêté, mais réussira à s’évader.
Enfin, le 21 décembre, un décret suspend l’inamovibilité des juges. Quatre jours plus tôt, Fidel avait annoncé : « Le pouvoir judiciaire doit être soumis au pouvoir populaire. » En deux ans, la « vieille Cuba » a été « démontée ».
Et il en va de même en économie. Le 13 octobre, toutes les banques et trois cent quatre-vingts sociétés industrielles et commerciales de toutes tailles sont nationalisées. Le capitalisme a presque cessé d’exister à Cuba. Il ne reste plus de « libre » que l’artisanat, le petit commerce urbain, très encadré, et des microactivités industrielles. À la campagne, un « dernier carré » est constitué par deux cent mille paysans, possédant 30 % des terres cultivables. Quant aux cent mille Cubains qui ont bénéficié de la Réforme agraire, un nombre non négligeable a décidé, spontanément ou non, de se mettre en coopérative.
Et, le 14 octobre 1960, c’est une « réforme urbaine » qui est décrétée. Elle supprime la propriété au-delà de la première habitation. Les plus lésés sont les particuliers qui avaient placéleurs économies dans la pierre. Les locataires, eux, deviennent propriétaires de l’appartement qu’ils occupent. Cette réforme ne coûte pas un centime au régime ; mais elle lui attache, à la vie à la mort, des centaines de milliers de ces citadins qui, à la différence des paysans, avaient eu peu, jusque-là, à se féliciter de la Révolution.
Peu avant son départ pour un voyage, fin 1960, en Europe de l’Est, Russie, Corée et Chine, Guevara a convoqué Julio Lobo. Ce grand capitaliste était resté à Cuba, n’ayant pas renié sa sympathie pour la Révolution. Le « tsar du sucre » a raconté à Hugh Thomas : « Le Che m’a d’abord expliqué n’avoir rien trouvé d’irrégulier dans mes affaires, malgré bien des vérifications : ce pourquoi j’ai été laissé en paix. Mais, a-t-il ajouté, maintenant nous sommes communistes, et soit vous rejoignez la Révolution en prenant la direction de l’industrie sucrière nationalisée, soit vous partez. » Le 13 octobre 1960, Lobo s’éclipse pour Miami, et de là Madrid.
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L ES CRISES PLANÉTAIRES
(
1961-1962
)
Eh bien ! nous sommes en régime socialiste.
Fidel Castro, 2 décembre 1961
L’hostilité à présent ouverte des États-Unis envers le castrisme va dominer les années 1961 et 1962. Pour Washington, le différend a d’abord été présenté comme « économique » : il n’est pas question d’accepter les « spoliations » consécutives à la réforme agraire de 1959 et, pis encore, aux nationalisations industrielles de 1960. Mais, avec le rapprochement engagé par Cuba avec Moscou, c’est désormais le « risque idéologique » qui est réputé le plus grave. Les États-Unis, il est vrai, sont en année électorale, en 1960 : une circonstance qui prédispose mal à la sérénité. La succession du prestigieux Eisenhower s’annonce serrée, et le débat s’échauffe d’autant.
En outre, l’Amérique est inquiète en ses tréfonds : le lancement, en octobre 1957, du Spoutnik soviétique, a révélé un retard technologique dans le domaine crucial des fusées. Le thème du
missile gap
sera martelé par l’aspirant démocrate à la présidence, John Kennedy. L’anxiété américaine est alimentée par les fréquentes allusions de Khrouchtchev à la possession par son pays de l’« arme absolue ». Et il ne faut pas négliger l’atmosphère de crise qu’il entretient depuis 1958 sur Berlin. Sur ce fond, Castro ajoute sa petite note. En elle-même, Cuba n’est pas une menace. Mais ne va-t-elle pas accueillir une base de sous-marins ou des fusées soviétiques – la presse américaine bruit de ce fantasme – et ne donnera-t-elle pas corps aux propos de ses dignitaires, adjurant de tisonner la révolution en Amérique latine ?
Kennedy a, le premier, évoqué la « doctrine de Monroe », violée par la promesse de « Monsieur K. » d’aider Cuba avec« l’artillerie » de
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