Fidel Castro une vie
Fidel ne cherchait-il pas tant, d’emblée, à fomenter partout la Révolution qu’à en aider d’autres… à l’aider lui-même. Les écrits soviétiques de l’époque indiquent la consigne pour les PC
latinos
: « Défendre la Révolution cubaine. » Mais ces partis manquent de moyens, d’où l’idée de leur en fournir via La Havane.
À la fin de 1960, la plupart des États du bloc socialiste ont leur ambassade dans l’île. La Chine elle-même, dont la querelleavec Moscou est devenue publique, n’est pas en reste. La Révolution caraïbe, il est vrai, a fait assaut de voyages à Pékin, du numéro 1 communiste Blas Roca au grand Guevara. Fidel entend ne se couper d’aucune composante du mouvement.
Sur le plan militaire, Cuba a surtout reçu des armes légères tchèques. Mais à la parade du 2 janvier 1961, pour la première fois, la foule voit des tanks soviétiques. Des pilotes s’entraînent sur Mig mais aucun appareil n’a été livré. « Simplement », Khrouchtchev a-t-il vaguement tendu son parapluie atomique. Cuba, qui s’est retirée de la Banque mondiale, demeure membre de la Junte interaméricaine de défense : un bon poste d’observation. Washington l’en délogera, à la majorité requise, en 1961.
Cependant, en ce début de l’an III, cent mille Cubains environ ont abandonné leur patrie. Quelques milliers sont des batistiens peu reluisants, enfuis dès la victoire de Castro ; cinquante mille ont suivi fin 1959 dans l’émotion de la réforme agraire, des « journées d’octobre » et, surtout, de l’arrestation d’Huber Matos ; cinquante mille autres sont partis en 1960. Tous rejoignent des dizaines de milliers de compatriotes installés autant à New York qu’en Floride depuis la grande crise des années 1930. La plupart ont utilisé les canaux réguliers de la Cubana, de la Panam, ou le
ferry boat
. Les moins assurés de leur situation ont affrété de petits navires. Presque tous se retrouvent en face de La Havane, pour ainsi dire : à Miami.
L’américanissime cité des retraités s’hispanise à vue d’œil.
Se habla español
et
Productos latinos
: ces panonceaux se lisent aux devantures d’un nombre croissant de boutiques dans la
Calle Ocho
(rue numéro 8), principale artère de ce que l’on dénomme déjà
Little Havana
. La Floride redevient ce qu’elle était à la fin du XVIII e siècle, sous la colonie espagnole : «
La
jurisdicción de La Habana ultramar
» ! Il arrive qu’on s’y fasse prendre en charge par un chauffeur de taxi qui est un ex-médecin cubain : la moitié ont quitté l’île entre 1959 et 1961 ; il est aussi imaginable de se voir aider, pour le choix d’une paire de chaussures, par un ex-architecte, un vétérinaire, un professeur. Des cinémas projettent des films sous-titrés en castillan. Des journaux qui ont disparu à La Havane reparaissenten Floride. Washington débloque des fonds prévus pour aider des réfugiés d’un « pays sous contrôle communiste ». Les exilés vont vite peser dans la vie américaine.
À la fin de l’été 1960, cinq organisations d’exilés avaient annoncé aux États-Unis la création d’un « Front révolutionnaire démocratique ». Les personnalités dominantes en sont Tony Varona, ex-Premier ministre de Prío, Manuel Artime, chef du groupe MRR, catholique intégriste, et Justo Carillo, président de la Banque du développement sous Fidel. À eux s’est joint, en novembre, Manuel Ray, ancien « patron » de la résistance urbaine à Batista. Il ambitionne de faire « du fidélisme sans Fidel » : oui aux réformes, non à l’accaparement du pouvoir. Mais Ray, qui représente l’aile gauche de l’exil, ne sera jamais à l’aise à Miami : trop de batistiens, trop de CIA !
La Centrale du renseignement américaine travaille au « programme d’action secrète » contre Castro lancé par la directive Eisenhower de mars 1960. Elle a confié l’opération à l’adjoint « Action » du directeur Allen Dulles. Richard Bissell a été l’un des cerveaux du plan Marshall, puis le coconcepteur, en 1957, de l’avion-espion U-2. En 1958-1960, il a coordonné le programme de lancement d’un satellite d’observation. L’homme a une réputation si flatteuse qu’il est programmé pour être le successeur du patron. Au printemps 1960, la CIA a ouvert un camp pour les guérilleros anticastristes dans la sierra guatémaltèque : la plantation de café Helvetia, près de Retalheu, appartient à un
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