Fidel Castro une vie
journaliste polono-français » K. S. Karol et le « vieil agronome » René Dumont, pourtant invité à La Havane par Castro lui-même. « J’ai fait preuve d’une duplicité fieffée, admet Padilla… Je savais que chaque coup adroit porté augmentait ma popularité parmi les journalistes et les écrivains soi-disant libéraux et démocrates. » Le « moment culminant de ma tactique politique », juge-t-il, fut la première « affaire Padilla ». Elle lui aura fort bénéficié, en France notamment, « où l’on cherche le scandale à propos de n’importe quelle œuvre capable de susciter l’intérêt des acheteurs ». Ayant naguère obtenu du chef de la Révolution cubaine un poste de traducteur, Padilla estime avoir été assez « infatué » de lui-même pour voir là « une preuve de ce que [sa] valeur intellectuelle et [son] prestige à l’extérieur étaient reconnus, voire redoutés, par la Révolution ». Aussi se dépeint-il « ingrat et injuste envers Fidel ». Son prochain ouvrage ? « Quand j’en ai repassé dans matête certains fragments, j’ai ressenti une honte extraordinaire… Non seulement ces passages étaient politiquement nocifs et tortueux… mais ils manifestaient un désenchantement profond devant la vie, l’espérance et la poésie de la vie. » En conclusion, le poète demande à pouvoir exposer publiquement ces faits et « discuter avec ceux en train de tomber dans les mêmes erreurs ».
On apprend, comme l’affaire bat son plein, que l’agronome Enrique Olive, accusé d’avoir fourni des informations « confidentielles » à son collègue René Dumont, vient d’être condamné à trente ans de prison. En outre, un reporter-photographe français vivant depuis trois ans à Cuba, Pierre Golendorf, est condamné à dix ans. Son arrestation, un mois avant celle du poète, avait été présentée comme « en corrélation » avec elle. La Sécurité a d’abord cru que c’était Golendorf qui avait fait parvenir en France le manuscrit de
Hors jeu
, publié par le Seuil. En fait, c’était le texte d’un livre qu’il s’apprêtait lui-même à faire paraître sur Cuba qu’il avait expédié. Quelques notes interceptées par les Services avaient suggéré que la teneur de cet ouvrage serait « négative ». Le crime retenu est « espionnage contre Cuba pour la CIA ». Le procureur expliquera que le Français a profité de sa présence dans l’île pour soutirer des renseignements devant servir à son livre, avec l’objectif de « porter préjudice à la Révolution », « en liaison avec d’autres personnes », formant « un réseau de la CIA ». Golendorf est un vieux militant communiste qui a été en délicatesse avec le PCF lors de l’invasion soviétique de la Hongrie, en 1956, qu’il a critiquée. Il fera trente-huit mois de prison. De cette expérience, il tirera un livre,
Sept Ans à Cuba
, dépassionné, sans haine, et de ce fait plus implacable, sur les méthodes de la Sécurité révolutionnaire et les conditions carcérales dans l’île.
Fidel a annoncé que d’autres intellectuels que Padilla sont impliqués. C’est donc au siège de l’Union des écrivains et des artistes que le poète, le 27 avril 1971, lit son autocritique. Le président de ladite Uneac, Nicolas Guillén, souffrant, n’assiste pas à cette séance. À la tribune, outre l’auteur de
Hors jeu
, figurent sa femme, la poétesse Belkis Cuza Malé, et trois autres. Ceux-ci sont exhortés par Padilla à « surmonter leurs faiblesses ». Le repenti précise n’avoir pas été soumis à la contrainte. Cuza Malé, dans sa propre autocritique, déclare avoir pu « éprouverl’amitié des compagnons de la Sécurité de l’État », leurs « simplicité, humilité, sensibilité et chaleur ». Jorge Edwards, premier représentant du Chili d’Allende à La Havane, a bien rendu cette atmosphère paranoïaque où baignaient alors les intellectuels réfractaires dans son
Persona non grata
.
Il est certain que Padilla a forcé la note dans son « autocritique », y éprouvant une joie amère conforme à son personnage provocateur. « Ai-je été bon ? », va-t-il, dans les jours suivant sa libération, demander à ses amis. Mais il est certain aussi que le régime, parfaitement au fait des sensibilités étrangères, a laissé passer ce qu’il y avait d’excessif dans cette confession. Car l’objectif, comme l’a annoncé Castro, est de trier à tout prix le bon grain de l’ivraie : « Les
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