Fidel Castro une vie
libéraux bourgeois sont en guerre avec nous. C’est une bonne nouvelle, s’écrie-t-il le 1 er mai. Ils vont être démasqués. »
De fait, une soixantaine d’intellectuels français et étrangers qui ont défendu avec « véhémence… dès le premier jour, la Révolution cubaine » adressent, fin mai 1971, une lettre à Castro dans laquelle ils lui font part de « leur honte et leur colère » à la suite de la confession de Padilla. Ils adjurent le
Lider
d’« épargner à Cuba l’obscurantisme dogmatique, la xénophobie culturelle et le système répressif qu’imposa le stalinisme ». Les signataires sont les mêmes, un peu plus nombreux, que ceux de la première lettre. Avec quelques disparitions, telle celle de Gabriel García Márquez. Le Colombien a, ce jour-là, gagné l’amitié indéfectible de Fidel. Aux autres – les Sartre, Duras, Leiris, Nadeau, Pasolini, Resnais, Semprun –, quarante intellectuels cubains répondent : « Il est temps que les bouffons de la bourgeoisie abandonnent ce rôle de juges planétaires des révolutions qu’ils ne feront pas en raison des risques qu’elles portent. » Jamais sans doute le mépris de Castro pour les intellectuels ne s’est autant manifesté. Ce terrorisme n’est pas sans effet. Certains intellectuels latino-américains, qui n’ont pas les mêmes raisons que leurs collègues européens d’avoir revisité en mode déchirant la filiation révolution-totalitarisme, jugent encore que l’attitude envers la Révolution cubaine est la
summa divisio
: ainsi un caricaturiste de renom nous dira choisir de se définir « du côté de García Márquez plutôt que de Vargas Llosa » (lequel, il est vrai, a, depuis, viré très à droite). Mais le régimea compris qu’il faut cesser de poser à la révolution admirable. Commence le temps de ce qu’un journaliste du
Monde
qualifiera, après Éluard, de « dur désir de durer ». Padilla, lui, quittera Cuba en 1980.
La Révolution n’est plus menacée. Quelques débarquements d’espions obligent à la vigilance mais ne troublent rien. Les États-Unis ont, avec le Viêtnam, une préoccupation bien plus grave. Les premières années de la décennie 1970 seront même, globalement, celles de précises tentatives de rapprochement américano-cubain. Avec des sinuosités. Ainsi, à l’automne 1970, on note une poussée de fièvre. On croit, à Washington, que Moscou est en train d’installer à Cienfuegos une base de sous-marins nucléaires, en violation du
gentlemen’s agreement
Kennedy-Krouchtchev. Gesticulation soviétique ? En toute hypothèse, un protocole Gromyko-Kissinger règle la question.
Globalement, le courant qui s’est dessiné en faveur d’une reprise de relations plus normales avec l’île prend corps aux États-Unis. Il est composé d’universitaires, de représentants des Églises, d’hommes d’affaires, de journalistes. Le 12 avril 1971, un éditorial du
New York Times
affirme : « Le temps de la réconciliation est venu. » Cette ligne est accueillie par des démocrates libéraux, les sénateurs Fullbright, Church et Ted Kennedy, le propre frère du président assassiné ; quelques républicains s’y rallieront. Le candidat à la présidence pour l’élection de 1972, George McGovern, va endosser ce programme. En août 1971, une équipe de volley-ball yankee reçoit un accueil sympathique à La Havane.
Mais le casse-tête du président Nixon a pris un autre visage, en cette partie du monde : celui du Chilien Salvador Allende, qui a assumé la fonction suprême le 4 novembre 1970 à Santiago. Fidel a été le premier étranger à le féliciter, par téléphone. Allende est, en effet, un grand ami de la Révolution cubaine, qu’il a appuyée dès 1959. Il s’est souvent rendu dans l’île. En particulier en 1966, il a dirigé la délégation chilienne à la Tricontinentale. L’un des premiers gestes de l’élu a été de renouer la relation diplomatique avec La Havane. Nixon considère que c’est là encourager l’OEA à passer par pertes et profits la rupture de 1964. Les États-Unis craignent surtout la « contagionchilienne » : que la transition pacifique vers le socialisme, qui est le modèle que défend l’Union soviétique depuis 1965, ne soit tentée ailleurs.
Fidel piaffe. Il débarque à Santiago le 10 novembre 1971, un an après la prise de fonction de son collègue. C’est son premier voyage à l’étranger depuis sa tournée en Russie de 1964. Et, surtout,
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