Fidel Castro une vie
débarquement d’armes cubain dans la petite île du Vent. Et, bien vite, Saint-Georges annonce la création de milices, la levée de l’
habeas corpus
, le renvoi
sine die
d’élections : un processus identique à celui de 1959 à Cuba est-il en train de se reproduire ici, aidé par Fidel ?
Le véritable coup de tonnerre est la victoire, le 19 juillet de la même année, du Front sandiniste de libération nationale du Nicaragua. Le dictateur Somoza était parvenu, l’automne précédent, à mater un premier soulèvement mal coordonné. Il n’a pas échappé à Washington que Fidel a alors pesé de tout sonpoids pour rassembler et aider les composants révolutionnaires du petit État centre-américain. Il n’a pas directement armé les combattants, mais son ami le général panaméen Torrijos ne s’est pas, lui, privé de le faire, multipliant à cet effet les visites dans l’île vers cette époque. Les neuf
comandantes
sandinistes sont triomphalement accueillis à la tribune de la Fête nationale, le 26 juillet 1979, à La Havane. Ce succès va pousser aux préparatifs les révolutionnaires du Salvador et du Guatemala.
C’est, en conséquence, un retournement de l’attitude des États-Unis envers Fidel qui se produit en 1979 : de l’attention vétilleuse, on y passe à la défiance ouverte. Et ce sera ainsi pour les décennies à venir. Après avoir « découvert » à Cuba une « brigade de combat » soviétique, forte de trois mille cinq cents hommes (qui y était présente depuis dix-sept ans !), Jimmy Carter annonce les mesures militaires les plus sérieuses prises depuis longtemps par l’Amérique : création à Key West d’un « QG Caraïbe », avec une centaine d’officiers ; renforcement de la base de Guantanamo, longtemps demeurée en quasi-déshérence ; redoublement des manœuvres régionales, autour de Porto Rico notamment.
Le
Lider
n’en poursuit pas moins, comme si de rien n’était, les libérations annoncées un an plus tôt. Trois mille « contre-révolutionnaires » vont quitter les geôles où ils croupissaient, certains depuis vingt ans. Lorsque Huber Matos sort, le 21 octobre, pas une heure de remise de peine n’aura été accordée au héros de la Sierra : au nombre des signes distinctifs de Castro figure une implacabilité digne de l’antique. Matos reconnaît n’avoir pas été torturé mais avoir dû conduire deux grèves de la faim pour obtenir un traitement décent. Il a vécu un an nu, avec une couverture sur le dos, pour avoir refusé de porter l’uniforme des « droit commun ». Les libérés racontent l’ordinaire des humiliations, quelques-uns des histoires de sévices. Certains évoquent des simulacres de fusillades. D’autres assurent même que, parfois, les balles étaient réelles. Des esprits inattentifs découvrent des noms redoutés de maints Cubains : La Cabaña, El Principe, Guanajay… L’île des Pins, devenue en 1967 le « paradis communiste de la Jeunesse », admirée des participants du congrès culturel de 1968, avait été, auparavant, une prison sinistre.Marta Frayde – médecin, ex-collaboratrice de Fidel, ancienne ambassadrice de Cuba à l’Unesco –, arrêtée en 1976 pour avoir critiqué trop de choses, racontera, fin 1979 à Madrid, ce que c’est de « vivre » à trente-six dans trente mètres carrés. Plusieurs, encore, confirment la mort, en 1972, de Pedro Luis Boitel, qui fut, du mauvais côté, candidat à la présidence de la Fédération des étudiants en 1960, puis se tourna contre Castro, montant une cellule clandestine qui lui valut dix-huit ans de prison. Il avait conduit une grève de la faim pour obtenir la reconnaissance de sa condition de prisonnier politique, mais on l’a laissé mourir…
Les récits des rescapés aident à mieux comprendre le mécanisme de la « réhabilitation », qui permet au prisonnier, après quelques années, de recouvrer un certain droit d’aller et venir. Le but visé est la démonstration d’un repentir actif par le biais d’une insertion dynamique dans la vie de la communauté des prisonniers. Des aménités sont accordées aux sujets dont l’attitude est jugée « positive » – telle la visite, de temps à autre, de leur femme. Les rebelles à ce régime, au contraire, sont voués à se dessécher sur pied, non sans des tentatives récurrentes, et parfois sadiques, de les faire revenir à une attitude moins conflictuelle. Il y a dans le système carcéral fidéliste,
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