Fidel Castro une vie
découvre-t-on alors, quelque chose qui se souvient de l’Inquisition espagnole, le bûcher en moins. « Nous n’avons jamais torturé », aime à répéter Fidel. Mais où commence la torture ?
« L’année du vingtième anniversaire de la Révolution », 1979, débute par un flot de commentaires dans la presse internationale. Deux réussites sont mises en avant : l’éducation et la santé. Ce n’est certes pas peu. Mais les bilans sont plus nuancés que dix ans plus tôt. Des auteurs, tel l’universitaire américain d’origine cubaine Carmelo Mesa-Lago, ont pris la peine de plonger dans des documents antérieurs à 1959. Ils y ont noté que Cuba n’était pas, alors, ce pays gravement sous-développé que les castristes ont décrit depuis leur victoire. Pour la plupart des indices, l’île se situait au quatrième ou cinquième rang en Amérique latine, en général derrière l’Argentine, l’Uruguay, le Costa Rica et le Chili. Pour certains facteurs, la santé notamment, elle était bonne première. Fidel lui-même avait reconnu, dans son premier discours à l’étranger, au Venezuela en janvier 1959,que beaucoup de ses compatriotes n’avaient pas cru à la Révolution du fait qu’il « n’y avait pas de crise économique et que ne régnait pas la faim ». Tous rappellent que la richesse était mal répartie : une minorité de Cubains, ouvriers agricoles et tenanciers précaires, pour l’essentiel, avaient « décroché » par rapport à la majorité urbaine, y compris les ouvriers dont la qualité de vie était la plus enviable, sans doute, du sous-continent. Et c’est en Oriente, où la situation des ruraux était misérable, qu’a éclaté la tourmente qui a gagné l’île. Mais une réforme sociale profonde aurait sans doute fait plus, mieux, plus vite et à un moindre coût. Encore eût-il fallu qu’un secteur politique ait la clairvoyance et la force de la mener avant 1959.
Les bilans les plus louangeurs des vingt premières années de castrisme ne peuvent pas occulter la médiocrité des progrès économiques. À la vérité, on en est, en maint domaine, à la situation de 1959. Pour la
zafra
sucrière – un bon indicateur –, la moyenne d’avant la Révolution était de cinq millions et demi de tonnes annuelles. Elle est descendue à quatre millions sept cent vingt-cinq mille durant les années 1960. À partir de 1974, on a tendu à dépasser les chiffres d’avant 1959. Mais la progression du PNB a été très inférieure aux 6 % annuels du reste du sous-continent durant la même période. En toute certitude, le rationnement persiste. Le chômage est revenu. Et, le 29 décembre, Fidel annoncera l’apparition de l’inflation.
Aussi bien n’est-ce pas à l’aune de ses succès en économie que la Révolution entend être jugée. Outre l’égalité presque absolue devant la vie et la mort qu’elle a établie, son titre de gloire est la dignité rendue à la nation. Et, de fait, l’année 1979 sera l’un des moments de plus grande gloire et dignité pour Cuba, promue hôte du VI e Sommet des non-alignés.
Si toute vie d’homme comporte un jour béni, marqué par une rencontre magique ou un succès éclatant, pour Fidel, cette heure exquise a d’évidence sonné le 3 septembre 1979. Ce jour-là, les yeux du monde entier sont tournés vers Cuba. Mieux : le monde
est
à Cuba. Tout entier ? Pas tout à fait : pour l’ouverture de ce sommet, il y a « seulement » un tiers de la planète. Et ce n’est pas là que jeu de mots. Les chefs d’État ou de gouvernement, ministres des Affaires étrangères et leaders demouvements de libération de pays du tiers-monde ici rassemblés représentent au moins un milliard et demi d’hommes, sur les quatre milliards et demi que compte alors la planète. Ce monde-ci est celui qui importe, jugent sans doute les participants : l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine. L’avenir.
On pouvait trouver certes, dans la grande salle octogonale du nouveau palais des Conventions, quelques excellences plus rassises, pessimistes peut-être sur le destin de cette masse accablée par la faim, l’ignorance, la maladie, la guerre, l’oppression. Fidel Castro, lui, ne saurait être compté au nombre de ces tièdes, comme il avance vers la tribune, applaudi par la gloire de l’humanité pauvre, pour prononcer le discours d’ouverture de la
Sexta cumbre
, le VI e Sommet : « la
Sexta
», disent simplement les Cubains.
De son pas de
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