Fidel Castro une vie
être là. Et, de fait, il est à Cuba ! Mais la police l’a… séquestré à son arrivée. Elle le retient dans un hôtel dela station balnéaire de Santa Maria del Mar. On n’est pas allé jusqu’à admettre le délégué du pro-viêtnamien Heng Samrin. Mais le forcing cubain contre le représentant du « sinistre Pol Pot » a triomphé des manœuvres des modérés.
Tous se rassoient et Fidel reprend son discours. Il n’y va pas de main morte ! Qu’il fustige les « impérialistes
yanquis
», c’est de bonne guerre. Et, d’ailleurs, les États-Unis se sont donné des verges pour se faire battre. Trois jours plus tôt, le sénateur Frank Church a « révélé » la présence à Cuba d’une « brigade de combat » soviétique : juste à temps pour nourrir les préventions de ceux qui contestent à Fidel le titre même de « non-aligné ». Mais l’affaire fera long feu. Et l’on observe ici comme un mouvement attendu la sortie de la tribune
ad hoc
du chef de la Section d’intérêts américains à Cuba, après un passage plus vif du discours présidentiel.
Peut-être aussi tel délégué trouve-t-il un peu forte la dénonciation des « nouveaux alliés » des États-Unis – « la clique » gouvernant la Chine. Après tout Zhou Enlai était à Bandung, en 1955, lorsqu’ont été posées les prémices du non-alignement ! Cela pourrait conduire à des ménagements, même si Pékin, finalement, n’a pas intégré le mouvement. Et Fidel ne se comporte-t-il pas, ici, en exécuteur des basses œuvres de l’Union soviétique ? Le représentant de Deng Xiaoping à Cuba quitte à son tour la travée réservée aux diplomates étrangers au « club ».
Castro ne laissera pas souffler ses hôtes avant de leur avoir brossé un tableau apocalyptique de la situation planétaire : « Des montagnes d’armes s’accumulent à côté de montagnes de problèmes : le sous-développement, la pauvreté, la pénurie alimentaire, l’insalubrité, la pollution, le manque d’écoles, de logements, d’emplois, l’explosion démographique. » Alors que la société capitaliste étale son « honteux gaspillage », le tiers-monde, lui, connaît l’augmentation de la dette extérieure, la rareté des devises, la croissance des prix de l’énergie et des produits importés, l’échange inégal, le pillage incessant en raison des bas prix sur le marché mondial des matières premières, l’inflation, etc. « Quelque chose va mal », conclut Fidel.
Et voici la péroraison, après deux heures et demie d’un discours haletant : « Nous représentons, nous qui sommes réunis ici, l’immense majorité des peuples du monde. Unissons-nousétroitement. Concertons les forces croissantes de notre vigoureux mouvement aux Nations unies et dans tous les forums internationaux pour exiger la justice économique en faveur de nos peuples. Que de ce VI e Sommet sortent une volonté résolue de lutte et des plans d’action concrets. Des faits, pas seulement des discours. »
La salle croule sous les vivats. Tito lui-même a applaudi plus longtemps que ne l’exigeait le protocole. Quelle fougue ! Quel orateur ! Mais aussi quelle salle ! Alors le
Lider
est visiblement heureux. En réponse à l’ovation, ses lèvres murmurent des mots inaudibles de la salle – des remerciements. En un geste familier, l’index gauche parcourt le sillon du front, légèrement transpirant. Une fois ou deux, il lèvera les deux mains au ciel, paumes tournées l’une vers l’autre. Et il incline la tête, le visage grave.
Le sommet, pourtant, ne lui donnera pas toute satisfaction. L’obstiné patriarche yougoslave, la pléthorique délégation indonésienne, l’active représentation indienne, le subtil ministre égyptien des Affaires étrangères Boutros-Ghali, le non moins rusé Premier ministre marocain Bouabid vont travailler le « marais » du tiers-monde. Avec des résultats divers. Une victoire pour Castro : la chaise cambodgienne demeurera vide – ce à quoi, avec leur prestige immense, les Viêtnamiens se sont aussi activés. Mais l’Égypte ne sera pas expulsée. Et Cuba devra édulcorer son projet de résolution finale. Car l’activisme de Fidel a lassé. Une dernière séance marathon de vingt heures se terminera le 9 septembre après l’aube. Face à un auditoire épuisé, Fidel prononcera un discours d’un quart d’heure, son record de brièveté. Le VI e Sommet se terminera en apocalypse. L’ouragan « David », qui rôdait sur la
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