Fidel Castro une vie
l’autofinancement des entreprises ; ouvertures en direction du capitalisme étranger à qui sera proposée, en 1982, une formule de coentreprises (
joint ventures
). L’homme de cette NEP caraïbe est Humberto Pérez, devenu directeur du Plan et vice-Premier ministre.
Le détonateur de la « crise de Mariel » (le départ de cent vingt-cinq mille Cubains aux États-Unis) est un problème
a priori
mineur, mais dont Castro a fait une question de principe : la situation de quelques dizaines de réfugiés dans des ambassades latino-américaines. En 1979, puis de façon répétée début 1980, des mécontents demandent l’asile dans ces légations par un procédé que l’ordre public ne saurait tolérer : à bord de camions, ils défoncent les portes des chancelleries afin d’échapper aux sentinelles armées qui les gardent. Des coups de feu claquent parfois, qui feront trois morts parmi les candidats à l’exil. Castro entend que les fuyards lui soient restitués.Il annonce que, contrairement à la « Convention de Caracas », il n’y aura plus de sauf-conduits pour eux. Les gouvernements des pays intéressés, se plaint-il, ne montrent aucun empressement à accorder des visas « normaux » aux impétrants, préférant accueillir des « martyrs de la liberté ». Et, pour preuve de sa détermination, le 4 avril 1980, il fait lever la garde devant l’ambassade du Pérou. Et il le clame. Quelques dizaines de mécontents, croit-il, vont chercher refuge dans l’enceinte diplomatique, gênant le travail et contraignant Lima à négocier.
Or, en quelques heures, plus de dix mille personnes pénètrent dans la légation, envahissant le parc ! Des journalistes étrangers affluent. Il y a là, selon eux, des Blancs et des Noirs, des ouvriers et des avocats, des civils et des militaires, des enfants et des vieillards, des femmes et des hommes. On voit même des
guajiros
(paysans) déambulant dans le quartier chic de Miramar, ballot sur l’épaule, à la recherche de l’ambassade du Pérou. Un chauffeur conduit son autobus jusqu’à l’entrée de la 5 e Avenue, annonce « Terminus » et saute dans le parc. Aux journalistes qui les interviewent à travers les grilles, tous répètent : « Nous n’avons pas assez de liberté. »
C’est donc bien là une mini-Cuba réfractaire à Castro. Cela n’empêche pas
Granma
d’écrire que l’immense majorité des protestataires sont « des délinquants, des
lumpen
, des antisociaux, des parasites, la lie de la société, des amateurs de jeu et de drogue ». Une semaine plus tôt, Raúl, en grand uniforme de général d’armée, était venu au congrès de la Fédération des journalistes exhorter la presse à être « critique, et non soporifique »… Dans les rues autour de l’ambassade, de petits groupes organisés par les CDR commencent à crier : «
¡ Que se vayan !
» (qu’ils s’en aillent). Ils prennent à partie, parfois de façon musclée, les « asilés ». À l’intérieur, l’atmosphère est celle d’une kermesse mais l’ambiance vire lorsque, la chaleur aidant, les conditions sanitaires se dégradent. Dépassés, les officiels organisent un service minimum, souvent d’ailleurs refusé par les destinataires.
Puis on annonce que chacun peut rentrer chez soi : il n’y aura pas de représailles et des permis seront accordés sans restrictions pour quitter le pays. Peu sont disposés à accorder crédit à cette promesse mais la situation devient vite intenable et tous,ou presque, rentreront chez eux. Certains seront attaqués par des « inconnus », et quelques-uns battus à mort. Cependant, des pays latino-américains ont proposé des visas. Tout est prêt pour les premiers départs. Le 19 avril, une manifestation de soutien au régime défile, douze heures durant, devant l’ambassade du Pérou avec crécelles, pancartes et drapeaux. Puis on apprend que les organisations d’exilés de Miami ont été contactées par La Havane pour venir chercher les candidats au départ. Les premiers partiront le 22, sans bagages, à bord d’une armada d’embarcations arrivées à Mariel, à l’ouest de la capitale.
Ainsi Fidel, pris à la gorge, a-t-il décidé de contre-attaquer en lançant, comme en 1965, une immigration sauvage. Il sait ainsi embarrasser les États-Unis : il les oblige soit à se débusquer comme hypocrites s’ils refusent cette nouvelle irruption de ses compatriotes, soit à résoudre son problème en les acceptant. Carter adoptera…
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