Fidel Castro une vie
affidé. Fidel peut imaginer que Bishop, pour qui, d’opinions concordantes, il avait une tendresse de grand frère, a subi le sort que lui-même aurait connu s’il n’avait bloqué Escalante.
Raúl se ressaisit le premier après les événements de la Grenade. Le 15 novembre, il annonce, vieux réflexe, une augmentation des dépenses militaires et un renforcement des fortifications autour des villes. De fait, les visiteurs de La Havane auront la stupéfaction, l’année suivante – alors que la tension internationale est en baisse, passée « l’année des euro-missiles » en Europe –, d’assister à des exercices d’évacuation de malades, à la fabrication de « pièges viêtnamiens » dans les CDR, à la mise en condition d’usines et d’écoles en vue d’une agression américaine jugée « probable et imminente ». L’affaire conduira corrélativement les autorités à réviser le concept de « défense dans la profondeur » que leur avaient légué l’Union soviétique en même temps que ses MiG-23, ses vedettes lance-missiles, ses hélicoptères Mi-4, ses batteries aériennes SAM-3, etc. : on se confiera davantage, désormais, aux obus antichars. Raúl fera aussi procéder à la dégradation du colonel Tortolo et d’une trentaine de ses officiers. Tous seront ramenés au rang de soldats de deuxième classe, avant d’être appelés à combattre en première ligne en Angola. Une bande vidéo de cette noire cérémonie circulera dans les casernes de l’île pour l’édification de tous.
L’affaire de la Grenade a évidemment porté au nadir les relations américano-cubaines. Castro tentera, d’ailleurs, l’été 1984, de donner un coup de main aux démocrates américains en libérant, à l’occasion d’une visite dans l’île du pasteur noir Jesse Jackson, les vingt-deux Américains qui y étaient encore détenus, tous pour des affaires de droit commun. Ce geste n’aidera ni le ministe baptiste à conquérir l’investiture de son parti,ni Walter Mondale à prévenir la réélection de Ronald Reagan. Sur un point seulement, la question des migrations cubaines aux États-Unis, un accord bilatéral sera trouvé. L’administration républicaine obtiendra partiellement satisfaction sur la question, pendante depuis 1980, du rapatriement des deux mille sept cent cinquante « délinquants ou déséquilibrés mentaux » que les autorités castristes avaient glissés parmi les
marielitos
. Il provoquera d’ailleurs une vague de révoltes dans les pénitenciers américains où étaient détenus les indésirables, peu pressés de rentrer dans leur patrie. En échange, Washington acceptera le principe d’un quota annuel d’immigrés cubains de vingt mille personnes, le maximum accordé à un pays. Mais un accord du 14 décembre 1984, prévoyant des entretiens, deux fois l’an sur les migrations, sera remis en cause dès le 20 mai suivant par un Castro furieux que Reagan ait lancé la station antirévolutionnaire Radio Martí.
C’est sans doute avec une certaine mélancolie que, le 7 mars 1983, Fidel a « remis » les non-alignés entre les mains d’Indira Gandhi. Pressent-il qu’il n’aura plus jamais une telle stature planétaire ? Ses amis radicaux, en tout cas, ne sont pas plus majoritaires au sommet de New Delhi qu’en 1989. Sur aucun des points chauds du vaste monde – Afghanistan, Cambodge, Irak-Iran, Proche-Orient –, il n’a pu faire évoluer les choses d’un iota. La viscosité des situations, il l’a aussi mesurée à son échec à peser sur le sujet qui lui tient le plus à cœur : « La crise mondiale économique et sociale », à laquelle il a dédié son dernier discours de président dans la capitale indienne.
La réflexion de Fidel sur la misère du tiers-monde a pris, à partir de 1983, un angle privilégié : celui de la dette. Il va multiplier les interviews sur ce thème, qui seront éditées en opuscules tirés en diverses langues par les presses d’État. Titre significatif de l’une de ces réflexions :
L’Irrecouvrable Dette extérieure de l’Amérique latine et du tiers-monde
. En août 1985, lors d’une conférence latino-américaine à La Havane, Castro martèle que, à l’évidence, le tiers-monde ne peut pas supporter une dette estimée alors à sept cents milliards de dollars. L’Amérique latine, quant à elle, ne peut pas payer chaque année des intérêts s’élevant à quarante milliards de dollars – du tiers à la moitié, selon les
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