Fidel Castro une vie
quatre cent cinquante mille adhérents, presque tous les étudiants. Les quatre cinquièmes des femmes sont à la
Federación de mujeres
. Trois millions de travailleurs, sur quatre, cotisent à la CTC, le syndicat unique. Près d’un million et demi de citoyens, 15 % du total, manient les armes au sein des milices ; l’ambition de Castro est que six millions de personnes, sur désormais près de dix, aient une formation militaire : et parmi eux tous les adolescents à partir de quatorze ans, filles comprises. Et les Jeunesses communistes, vivier de la future
nomenklatura
, comptent six cent mille adhérents : autant que le PCC, ce qui donne la mesure des ambitions.
Le débat politique est officiellement encouragé à se débrider. Le
Lider
souhaite, a-t-il dit, non seulement des « pressions du haut vers le bas mais aussi du bas vers le haut » : des critiques mesurées, constructives, visant pour l’essentiel, comme au début des années 1970, à « remonter le tas de sable » d’une productivité déclinante. Mais nul, à Cuba, n’est jamais assuré des règles du jeu, mal fixées et mouvantes. Dans l’incertitude, chacun jugera donc préférable de ne se découvrir qu’avec d’infinies prudences et, mieux, de s’abstenir de parler. La vie politique, dès lors, demeure, trente-cinq ans après la victoire de 1959, confinée aux choix de Fidel Castro, discutés certes, réversibles sans doute, mais finalement déterminants.
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L E CHOC DE LA
PERESTROÏKA
(
1985-1990
)
La Révolution cubaine est créatrice et ne copie pas.
Fidel Castro, 26 mars 1988
Fidel a semblé d’abord prendre avec un brin de désinvolture les évolutions en Union soviétique à partir de 1985 (le binôme
perestroïka
-
glasnost
) qui allaient conduire à ce qui, pour lui, serait une catastrophe. Une explication vient aisément : il avait fini par se persuader, du haut de son quart de siècle à la tête de Cuba et aux commandes d’événements d’une importance planétaire, que le système international auquel il adhérait était inébranlable. Notamment parce qu’il y adhérait ! Pour lui, donc, Mikhaïl Gorbatchev était un jeunot qui apprendrait vite la vraie vie selon Marx et Lénine, ou alors disparaîtrait pour faire place à un secrétaire du PCUS ayant la solidité du roc soviétique, un chef à la Brejnev. Fidel, en somme, n’avait jamais imaginé, dans sa vision très « fixiste » du pouvoir, que l’homme rapidement surnommé « Gorby » à l’Ouest puisse devenir le liquidateur d’Octobre 1917.
La situation du
Lider
s’était, en réalité, faite plus précaire dès la mort de Brejnev, en novembre 1982. Fidel avait fini par nouer des relations de confiance avec « son » deuxième secrétaire général, après des débuts orageux : « Un homme très affable, très intelligent, de grande autorité », disait-il de Leonid. Andropov ? Castro le rencontre aux obsèques de son prédécesseur. « Il jouissait d’une grande autorité et de prestige », confie-t-il à Mina. Mais ce fut aussi l’homme du coup fourré à la Grenade. Voici le Cubain de retour à Moscou, en février 1984, pour l’enterrement dudit. Tchernenko ? Ce sera le moins aimé de tous. N’a-t-il pas donné l’ordre à une flottille en route vers le Nicaraguade rebrousser chemin seulement parce qu’une mine venait d’endommager un pétrolier soviétique ? Fidel ne pardonne pas la lâcheté. Il envoie Raúl à ses funérailles, en mars 1985, comme si un « ancien » n’avait pas de temps à perdre avec cette agitation funéraire et la désignation de successifs nains.
Fâcheuse idée ! Il se prive ainsi d’une rencontre immédiate avec le nouveau patron du Kremlin. Son frère, qui connaissait pourtant Gorbatchev depuis des vacances en Union soviétique, sera reçu après beaucoup d’autres délégués. Fidel s’est rattrapé « par téléphone et par lettre », mais ce n’est pas pareil. C’est seulement au XXVII e Congrès du PCUS, en février 1986, que le contact a été noué entre « Gorby » et le Cubain. C’était, précise à Mina un Castro alors désireux de prouver la qualité de son entente avec le secrétaire général soviétique, « un dimanche, de surcroît jour de son anniversaire ».
Fidel tente de « se racheter » en célébrant la « puissante vague d’optimisme, d’enthousiasme et d’espoir » censée submerger le congrès de la rénovation gorbatchévienne. À Mina, Castro parle de « son » cinquième
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