Fidel Castro une vie
Un groupe d’hommes, d’ailleurs, ne manque pas de retenir l’attention en ce milieu des années 1990 : celui des généraux. Ils sont six, sur vingt-six, au Politburo : outre les Castro et Abelardo Colomé, ministre de l’Intérieur depuis le procès Ochoa, il y a Julio Casas Regueiro, qui fut juge audit procès, Leopoldo Cintra Frías, qui succéda à Ochoa comme chef militaire en Angola, et Ulises Rosales del Toro, chef d’état-major. Ces hommes pèsent plus au Politburo que les chefs des organisations de masse, voire les apparatchiks du PCC.
Dans le champ international, Fidel gagne encore du terrain au milieu des années 1990. Avec des majorités croissantes, l’ONU condamne l’embargo. À l’automne 1994, il ne s’est trouvé qu’un pays, Israël, pour appuyer l’Amérique – contre plus de cent qui l’ont condamnée. Quant à l’Union européenne, fournisseuse d’assistance humanitaire, elle a annoncé en 1995 un « dialogue » avec La Havane en vue de formuler « un nouveau cadre global de relations ». Encouragée par l’Espagne (elle-même glorieuse de la transition douce qu’elle a vécue, de 1975 à 1981, entre franquisme et démocratie), Bruxelles adoptera, en 1996, une « position commune » : l’Union aidera au développement économique de l’île pour autant qu’y seront enregistrés des progrès en matière de droits de l’homme.
Le 10 mars 1995, Fidel débarque à Paris. Le point de départ a été sa participation au sommet organisé par l’ONU à Copenhague pour examiner les politiques mondiales de développement économique et social. Belle tribune pour le Cubain, qui fustige la « honte du moment, ces maux que l’impérialisme et le néolibéralisme infligent à la planète » : pauvreté, chômage, pollution, etc. De là, Castro file à Paris, invité par l’Unesco.
Le président Mitterrand, qui avait apparemment mal vécu d’avoir dû remettre, pour cause d’affaire Ochoa, la visite du Cubain en France en 1989, saisit la perche et convie son homologue. Comme tant d’hommes de la gauche démocratique, François Mitterrand a eu son penchant pour Fidel. Pour lui, l’occasion est donc bonne, à deux mois de la fin de son mandat et comme sa fin de vie se profile, de marquer envers les États-Unis une indépendance par laquelle il avait inauguré sonpremier septennat, avant de devoir, par réalisme, en rabattre. Fustigeant l’embargo (il dit une fois : « le blocus ») « stupide » et « cruel »… Danielle Mitterrand, son épouse, a, quant à elle, une vive admiration pour le
Lider
. Elle a multiplié les voyages dans l’île sous l’égide de son association France Libertés, obtenant des libérations de prisonniers politiques. Son attitude n’est pas isolée en France : non seulement le PC et la CGT, mais aussi des artistes, intellectuels, universitaires publient des placards exigeant la levée de l’embargo.
Fidel, encostumé de sombre comme jamais, a droit, à Paris, à une réception « avec tapis rouge » et passage en revue de la Garde républicaine, entretien en tête à tête avec le président français avant un déjeuner à l’Élysée. Moins protocolaire : il va partager un repas au domicile de son homologue, rue de Bièvre, avant une déambulation commune jusqu’à Notre-Dame. Jack Lang, familier de Cuba, l’escortera au Louvre. Là, devant
La Joconde
, le
Lider
aura cette question : « Combien elle vaut ? » C’est inattendu de la part d’un homme qui ignore ce qu’est l’argent, mais bien en ligne avec son désintérêt à peu près absolu pour l’art. (Seul son ami Oswaldo Guyasamin, peintre équatorien tenu pour un maître du « réalisme social », aura eu l’heur de l’émouvoir.) Danielle Mitterrand n’est pas en reste d’amabilités qui, sur le perron de l’Elysée, a embrassé le Cubain comme du bon pain devant les caméras du monde entier : des jours durant, les chaînes américaines repasseront la scène. La Première dame a formulé à nouveau une de ses demandes récurrentes : que Cuba abolisse la peine de mort. Castro se dit « sensible » à la préoccupation de son interlocutrice mais ne juge pas possible d’y accéder tant que l’embargo américain sera en vigueur. La droite, au gouvernement sous la conduite d’Édouard Balladur (c’est la deuxième cohabitation), se montre plus réservée. Le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé sera « trop pris » pour recevoir le
Lider
; il n’en a pas moins redit
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