Fidel Castro une vie
sa condamnation de l’embargo. Philippe Séguin reçoit Fidel à la présidence de l’Assemblée, mais certes pas dans l’hémicycle. Le
comandante
se dira ravi de cette « fin d’apartheid ».
À l’Unesco, il expérimente un bon bain de foule, mais aussi les cris hostiles de quelques douzaines de personnes, des exiléscubains pour la plupart. Ceux-ci, qui conspuent le « tyran » et l’« assassin », sont tenus en lisière par la police. Puis Fidel file à Champigny, dîner sympathiquement chez son vieux complice, l’ancien secrétaire du Parti communiste français Georges Marchais. Mais il n’ébranle pas, le lendemain, le patronat français (CNPF), devant lequel il s’escrime en vue de susciter de nouveaux investissements à Cuba : « Il n’a présenté aucun argument décisif », dira un auditeur. Qu’à cela ne tienne, il s’embarque, en train, vers la Bourgogne, chez un convaincu : Gérard Bourgoin, le « roi du poulet ». Ce sympathisant gaulliste, qui a beaucoup investi dans l’île, l’accueille à Chailley (Yonne), avant de partager avec lui un très bon déjeuner à Chablis. En revanche, pas de rencontre cette fois avec un autre grand ami français, Gérard Depardieu, dont Castro apprécie les vins (ah ! sa cuvée « Président »…), et avec qui il est en relation pour une
joint venture
pétrolière. Pas d’entrevue non plus avec un autre grand « ami de Cuba », amoureux passionné des côtes de l’île et commandant lui aussi : Jean-Yves Cousteau, déjà très malade.
Fidel aura l’occasion de revenir à Paris moins d’un an plus tard : pour les obsèques, à Notre-Dame, de Mitterrand, le 11 janvier 1996. Le
Lider
est ensuite invité à l’Élysée par le président Chirac, au même titre que d’autres chefs d’État venus à Paris pour la circonstance. Il déjeune à la gauche du roi d’Espagne, Juan Carlos, « ce vrai gentleman », si bien éduqué à la chose militaire par Franco (conversation avec Ignacio Ramonet), et à portée de voix du chancelier allemand Kohl, aux yeux encore rougis de larmes…
L’automne 1995 aura été un « festival Castro » à travers les Amériques. À Bariloche (Argentine), le V e Sommet ibéro-américain a demandé qu’il soit mis fin aux « mesures coercitives unilatérales » des États-Unis envers Cuba, et ce sans même formuler la traditionnelle exigence, en contrepartie, d’une démocratisation. Quelques jours plus tard, à Carthagène (Colombie), le Mouvement des non-alignés, unanime, condamne l’embargo américain et demande l’évacuation de la base de Guantanamo. Enfin, le 22 octobre, sur la photo historique des cent quarante chefs d’État, de gouvernement et de délégation présents sur les bords de l’East River pour les cinquante ans de l’ONU, Fidelest au troisième rang, à six places de Bill Clinton. Il sera l’objet de la moitié des quarante-huit manifestations, la plupart hostiles, enregistrées pour l’occasion par la police de New York. Il s’offre même un coup de nostalgie en revisitant Harlem, trente-cinq ans après sa première visite à l’ONU et sa rencontre avec « Monsieur K. » Fidel ne fait plus trembler l’Occident, mais les chaînes de télévision américaines se le disputent.
En décembre 1995, le
Lider
va parachever une année qui, décidément, lui fut faste sur le plan international, par un voyage chez ses nouveaux amis chinois (on lui fait visiter la zone économique de Shenzhen) puis chez ses vieux alliés viêtnamiens. Au retour, il s’arrête au Japon pour rencontrer le Premier ministre Murayama ; ce socialiste lui rappelle sa dette, ancienne, envers Tokyo. Toutefois, un incident est survenu durant cette tournée : au Viêtnam, il a eu un malaise. On a vu le géant livide, soutenu par ses gardes du corps. À près de soixante-dix ans, le temps serait-il venu de passer la main ? Il n’y songe même pas. Une fois, on l’a bien entendu soupirer : « La course aura été fort longue. » Mais de là à en tirer quelque conséquence…
C’est même par une pétulante crise internationale que Fidel ouvre l’année 1996. Depuis 1991, une organisation d’exilés anticastristes,
Hermanos al rescate
(Des frères à la rescousse), dirigée par un aviateur jadis entraîné par la CIA, José Basulto, effectue, depuis Miami, des vols au-dessus du détroit de Floride pour repérer des gens fuyant l’île à bord d’embarcations de fortune. Avec l’interdiction de l’immigration sauvage
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