Fidel Castro une vie
avaient droit à la une de
Granma
et, partant, de tous les journaux de l’île. Le vieil homme n’allait-il pas, de sa chambre secrète, « faire feu sur le quartier général », comme disait le Mao Zedong de la Révolution culturelle ? Ses chroniques furent en tout cas lues à la loupe, et certains y virent ce qu’ils y cherchaient : des piques plus ou moins ajustées contre une « politique réformatrice » de Raúl dont, à vrai dire, on voyait encore peu de signes. Or, s’il y eut parfois un peu de cela (l’inquiétude de Fidel à propos de résurgences des inégalités dans l’île), au moins jamais Raúl n’y fut-il mentionné ! On y trouva surtout de vastes réflexions planétaires sur le réchauffement climatique ou bien la géostratégie américaine, et la façon pour « les peuples » d’y résister, voire quelques longues « brèves de comptoir » sur les prouesses des athlètes cubains. Un pot-pourri de trente de ces articles, représentant deux cents pages, a été publié à la mi-2007 par les moyens officiels, répercutés dans les médias, et intégrés aux programmes scolaires. Un message y apparut clair : « Eh bien ! je suis encore là. »
Une fois ou l’autre, Raúl – maladie ou exceptionnelle absence de Fidel – avait délivré le traditionnel discours du 26-Juillet. Mais le 26 juillet 2007 aura été « sa » première fête nationale, si même affectée de provisoire. Il y annonce des « changements structurels et conceptuels ». Tout le monde comprend l’allusion : il faut sortir du « socialisme à mort » de Fidel. L’orateur admet avec bon sens qu’un salaire moyen de 15 dollars par mois est « clairement insuffisant pour satisfaire toutes les nécessités » de la vie. Pourtant, faute de savoir d’évidence où en est son frère,l’orateur reste vague. Sauf sur un point : l’urgence, c’est l’agriculture. Car l’île, dont le sol n’est pas le moins fertile d’Amérique, importe près de 80 % de ses aliments (dont du sucre !) –, ce qui a notamment pour inconvénient de réduire à trop peu de chose la belle recette tirée du tourisme. C’est le bon sens, mais le scepticisme règne : ceux-là mêmes qui seraient prêts à croire que Raúl voudrait, oui, agir pour sortir Cuba du marasme jugent qu’il n’en a pas les moyens politiques ni, à soixante-dix-sept ans, le temps. Et ce d’autant qu’on apprend, à l’automne, que Fidel sera candidat aux élections à l’Assemblée du début 2008, ce qui peut être une indication qu’il veut reprendre la direction des choses ! Santiago le désigne candidat à la candidature et le pays retient son souffle : Elizardo Sánchez juge que c’est reparti pour « l’immobilisme », tandis que Carlos Lage ne veut voir là que la preuve de l’affection dont Cuba entoure Fidel.
Mais il n’y aura pas de retour au
statu quo ante
: le 17 décembre 2007, dans une lettre lue à la télévision, le « commandant en chef de la Révolution » déclare : « Mon devoir n’est pas de m’accrocher à des fonctions et… de fermer la voie à des personnes jeunes, mais d’apporter des expériences et des idées dont la modeste valeur provient de l’époque exceptionnelle qu’il m’a été donné de vivre. » Et, élu le 20 janvier député à l’ANPP avec 97 % des voix (mais Raúl en recevra 98 %), il va énoncer, dans un message à cette instance daté du lundi 18 février à 17 h 30 : « Je n’aspirerai pas à être président du Conseil d’État ni n’accepterai de l’être. » C’est là le texte qui signe la fin officielle de Fidel
Líder máximo
.
Six jours plus tard, le 24 février 2008, Raúl Castro était élu président du Conseil d’État, ce qui en faisait le chef du gouvernement et aussi le commandant en chef de ces forces armées dont il était d’ailleurs resté ministre tout au long de son intérim, comme il l’était depuis 1959. Il ne chercha pas, cependant, à revivifier pour lui le titre de « commandant en chef de la Révolution cubaine », ce qui était le bon sens même : qui d’autre en effet que Fidel pourrait s’en parer sans ridicule ?
Raúl avait trois problèmes cruciaux à résoudre. Le premier était que la transition se fasse dans l’ordre. À cela prédisposait bien une certaine peur du vide de beaucoup de Cubains. Etsurtout le fait que le successeur, fût-il provisoire, était de longue date le grand maître de l’armée et le superviseur de la police et des services secrets. De
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