Fidel Castro une vie
elles seules auraient pu donner crédit à la volonté « raúliste » de sortir Cuba de l’ornière. Mais une telle circonspection n’est-elle pas inhérente à une société de gérontes méfiants ?
Dans ce qui ressemble à un très prudent démontage du passé en vue de reconstruire l’avenir sur le mode des « camarades chinois », une nouveauté a été annoncée en 2011 : l’agrandissement du petit port de Mariel, situé à 40 kilomètres à l’ouest de La Havane. En première analyse, on pourrait voir là un de ces projets pharaoniques comme les ont aimés les régimes socialistes soviétiques. Or, il n’en est peut-être rien, et ce pour trois raisons. Tout d’abord, l’entreprise se fait avec une expertise et des capitaux brésiliens, ce qui est doublementpositif : d’une part le géant Odebrecht a une image de sérieux dans ses projets BTP, et la banque BNDES n’a pas la réputation de prêter en vain ; et d’autre part, malgré leurs régimes politiques très éloignés, le Brésil est tenu, à Cuba, pour un pays « ami ». En second lieu, c’est la première fois (hormis pour ce qui est des « biotechnologies ») que l’île s’inscrit sur un créneau d’excellence moderne. Paulo Paranagua a expliqué dans
Le
Monde
que les concepteurs du projet veulent faire de Mariel « une plate-forme du commerce » entre Pacifique et côte Est des États-Unis, « la route dynamisée par l’émergence de l’Asie ». Car les cargos géants, dits « Post-Panamax », qui transiteront par un canal interocéanique dont l’élargissement sera achevé en 2014, devront transborder dans les Caraïbes du fait que les ports des États-Unis concernés n’ont pas la capacité (physique et écologique) de les accueillir. Et c’est là une troisième virtuelle nouveauté : la réalisation d’un projet de près d’un milliard de dollars serait d’une grande légèreté sans un rapprochement avec les États-Unis. Certes
it takes two to tango
, comme disent les Anglo-Saxons, et convier à la danse une certaine « Amérique profonde » ne sera pas forcément aisé. Les autorités cubaines, il est vrai, envisagent autour du port une « zone de développement intégral » (« zone franche ») afin de compléter le grand dessein, et qui pourrait, un temps, y suppléer. Mais, derrière tout cela, un esprit plus pragmatique n’aurait-il pas anticipé que toutes choses ont un avenir – fût-ce après lui ?
Ceci est pour un futur indécidable, même si pas nécessairement lointain. Mais, pour le présent et l’avenir immédiat, la question est : l’énorme purge sociale impulsée par Raúl peut-elle passer ? Pour cela,
Granma
en appelle à « la conscience citoyenne » : « Ce qui doit prévaloir, lit-on, c’est la discipline sociale, par conviction ou par imposition. » La formule est on ne peut plus claire : si « la culture économique générale » de chaque citoyen, comme dit encore
Granma
, n’est pas assez élevée pour admettre que ce qui a été décidé est inévitable pour le bien à terme des citoyens, le régime se juge en droit de recourir à la force. Car un principe sacré a émergé de l’émeute du 4 août 1994 : «
La calle ès de los révolucionarios
», la rue ne doit jamais échapper à la Révolution… Et rien, de fait, ne laisse présager un relâchement sur Cuba du contrôle politico-socialdu PCC et de l’armée, via une police bien renseignée. Et ce, même si la répression des manifestants et opposants a baissé d’intensité, l’interpellation un peu insistante remplaçant souvent la longue détention.
À noter encore que, comme il l’avait déjà fait en 1980, Raúl en a appelé à un « journalisme d’investigation » pour contrer les auto-satisfecit de l’officialité. Il est certain que c’est « dans le cadre de la Révolution », comme disait Fidel en 1961, que ce journalisme décoincé pourrait s’exercer. En ce sens, on tiendra pour une tentative prudente mais honorable la publication d’
Espacio laical
, la revue des laïcs de l’archevêché de La Havane, où se retrouvent « des opposants au castrisme favorables au dialogue et des réformateurs respectueux du régime », selon la formulation de Paulo Paranagua. Il se trouve que Cuba est l’un des derniers pays au monde dont les citoyens, hormis quelques privilégiés (vingt-sept mille en 2009), n’ont pas accès à Internet (les hôtels, très surveillés, sont les seuls lieux publics où l’on puisse
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