Fidel Castro une vie
l’article 26 du Code des prisons rendant les gardiens responsables de leurs détenus. Cela revient à déclarer légale la chasse à l’homme que sous-officiers et soldats mènent pour venger les leurs. En signant cette mesure, le dictateur plutôt débonnaire entre dans le gotha des criminels.
Échappant aux barrières du SIM, un photographe est parvenu à fixer des images de corps sans vie, aux visages méconnaissables en raison des coups reçus : ceux des rebelles assassinés.
Bohemia
, un hebdo très lu et respecté, les publiera, et ce sera rude pour le régime. Cependant, la boucherie commence d’être connue dans Santiago. Un juge, Manuel Urrutia, mène son enquête. Des personnalités vont trouver l’archevêque, l’adjurant de faire quelque chose. Or, le prélat n’est autre que M gr Pérez Serántes, ce Galicien qui, trois lustres plus tôt, avait aidé Fidel à entrer chez les jésuites ! Il arrache au colonel Chaviano promesse de vie sauve pour les futurs prisonniers. Lui-même, vêtu de sa soutane blanche, se met à arpenter les chemins de la Gran Piedra, mégaphone en main. Il tente d’obtenir que les redditions de rebelles aient lieu en sa présence, pour plus de garanties. De vingt-cinq à trente hommes se livreront les 30 et 31 juillet. Raúl, lui, a pris seul, à pied, le chemin de la maison paternelle vers le nord ; il est arrêté le 29, à une vingtaine de kilomètres de Santiago. Quant à Fidel, il continue quatre jours durant, selon Martín, à « errer en terrain inconnu avec sa petite troupe claudicante ». Les fuyards sont diversement accueillis par les paysans de cette zone inhospitalière. Tel fait rôtir pour eux le cochon, tel autre refuse toute assistance. Les rebelles apprennent enfin que l’archevêquebat les fourrés. Fidel décide alors que Juan Almeida et quatre autres doivent se rendre. Lui-même restera avec deux camarades trop gradés pour espérer grâce de Chaviano.
C’est là que se situe l’un des épisodes les plus rebattus de la geste. Il a été popularisé par Robert Merle, qui le tenait de son protagoniste lui-même. Il témoigne de cette chance étonnante qui escorte Castro. Contre toute prudence, Fidel et ses deux compères passent la nuit dans un
bohio
– une de ces cahutes en rondins couvertes de chaumes qui sont, aujourd’hui encore, l’habitat le plus répandu dans la campagne cubaine. Or, la position des fuyards a été « triangulée » et un détachement de la garde rurale envoyé sur la zone. La patrouille est commandée par un lieutenant noir, un colosse nommé Pedro Sarría que sa qualité de franc-maçon, alors très répandue dans l’armée, a conforté dans la conviction qu’on ne saurait vivre sans principes. À l’aube du 1 er août, Sarría arrive en vue du
bohio
. Ses hommes l’encerclent, ouvrent la porte d’une rafale, découvrent les fugitifs et les braquent. « Ce sont des Blancs ! » s’exclame l’un d’eux, noir ou métis, comme la plupart des bidasses. Autrement dit : ce ne sont pas des paysans, mais des
revoltosos
. La tentation est grande de tirer, et l’un des soldats, dont le frère a été blessé à la Moncada, vise Fidel. Celui-ci toise les nouveaux venus et les accuse d’être « les soldats d’un tyran ». Sarría empêche son homme de faire feu : « On ne tue pas des idées. » L’officier a fréquenté l’université en cours du soir, et en a retenu ce parler sentencieux. Castro le défie : « Si vous me tuez, vous aurez une belle promotion, lieutenant. » Et celui-ci de rétorquer : « C’est l’éthique de chacun qui décide. »
Les trois hommes sont ligotés et conduits à un camion. On y embarque également Juan Almeida et ses compagnons, eux aussi arrêtés. Sur le chemin de la ville, on croise un convoi de soldats avec à sa tête, dans une jeep, le numéro 2 de la caserne de Moncada. Il demande livraison des prisonniers. Sarría refuse. Menaces. Rien n’y fait. Le colonel Chaviano éclate en reproches : « Vous avez fait du joli. Vous connaissiez pourtant les ordres. Le président sera furieux. » Plus tard, Sarría refusera de se battre contre les
barbudos.
Après la victoire de laRévolution, il sera promu commandant de la garde du président de la République Osvaldo Dorticós.
Castro est mené à la prison civile de Santiago. À partir de ce moment, assure Merle, Chaviano fait preuve d’un comportement quasi servile à son égard. Est-ce l’attitude crâneuse de Fidel qui lui en impose ?
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