Fidel Castro une vie
dans ses
Souvenirs
, de Pazos et Chibás comme de deux « personnages de l’âge de pierre » : le plus radical des hommes de la Sierra n’aime pas les nouveaux amis de Castro. Raúl, lui, rumine (réflexe premier chez lui !) de fusiller Pazos. Plus tard, Celia Sánchez expliquera à Matthews, qui s’inquiétait que les promesses de la Sierra eussent été des tromperies : « Nous ne savions pas, à cette époque, qu’au jour de la victoire nous et le Mouvement serions si populaires. Nous pensions que nous devrions former un gouvernement avec des
auténticos
, des
ortodoxos
, etc. Au lieu de quoi nous nous sommes trouvés maîtres de Cuba. » Et de conclure : « Pourquoi, alors, aurions-nous perdu du temps ? »
La querelle naissante de Fidel avec Frank País se résoudra tragiquement : le « coordinateur » pour l’Oriente sera tué par la police le 30 juillet 1957. Il avait vingt-trois ans. Castro suggère que Celia reprenne une partie de ses responsabilités. En fait, c’est René Latour, dit « Daniel », un des lieutenants de Sotus durant son séjour dans la Sierra, qui reprend le flambeau. Mais une nouvelle Direction du mouvement, imposée par Fidel et « la montagne », se substituera à celle que País avait quasiment imposée.
Toutefois, l’embuscade tendue à País ne résout aucun des problèmes de la dictature. L’exécution à Santiago de « l’inoubliable » chef du M-26 pour l’Oriente provoque même des manifestations d’unité comme rarement il y en avait eu. La ville se mobilise pour les obsèques. Dans la foulée, une grève générale la paralyse trois jours. D’autres villes s’agitent. Pas La Havane.
Le successeur de País subit à son tour les pressions de Fidel afin que « tous les fusils, toutes les balles, toutes les ressources[soient] pour la Sierra ». Alors même que les correspondances de l’époque montrent que des dizaines d’armes, des milliers de pesos, des dizaines de milliers de munitions montent, le chef se plaint : « Je refais tous mes calculs, et vois que la plupart de nos armes, celles de meilleure qualité, sont celles que nous avons prises à l’ennemi. » « Daniel » réplique : « Nous considérons que la lutte ne doit pas se limiter aux montagnes mais qu’il faut se battre sur tous les fronts. » Hart lui-même, fort ancien compagnon de lutte de Fidel, mais qui a toujours travaillé dans « la plaine », en ville, écrit à Celia : « Si vous estimez que ce travail est inutile, il faut que vous demandiez à l’actuelle direction de nous transformer en section d’intendance de la montagne ! » Ceux d’« en-bas », comme on dit, sont d’autant plus amers que les exigences de Fidel les dénudent face aux ratissages de la police de Batista et aux irruptions des « Services » à l’heure du laitier.
À l’automne 1957, un événement frappe les esprits : la mutinerie de la grande base navale de Cienfuegos. Menée par quelques dizaines d’officiers, sous-officiers et marins, appuyés par environ trois cents civils, la rébellion, d’abord, réussit. L’envoi de renforts blindés et aériens de La Havane et de Santa Clara l’abat. La répression sera terrible : sans doute deux cents morts – la plupart, comme à l’ordinaire, sommairement exécutés par les sbires.
Fidel s’est toujours méfié comme de la peste de tout soulèvement militaire. D’un bout à l’autre de sa lutte, il aura cette hantise qu’un groupe d’officiers chasse Batista et s’empare du pouvoir. Passe encore des « gorilles », comme on dit en Amérique latine, c’est-à-dire des réactionnaires répressifs, car, contre ceux-là, la mobilisation n’aurait pas de raison de s’effondrer. Mais le plus grave serait une insurrection d’officiers honnêtes, démocrates, voire progressistes. Car de tels hommes pourraient, jusqu’à des élections libres, revendiquer cette légitimité antibatistienne que Castro s’attribue seul. C’est pourquoi certains Cubains peu méprisables ont soupçonné le chef de la guérilla d’avoir joué un rôle trouble dans le soulèvement de Cienfuegos. Tel est le cas, par exemple, de Justo Carillo, à qui Fidel avait, quelques semaines plus tôt, en vain proposé de faire partie d’un gouvernement provisoire. Plus tard, Carillofustigera l’attitude des chefs du M-26 « capables d’envoyer à la mort des centaines d’hommes, afin d’éviter le triomphe d’une faction différente de la leur ». Nulle preuve n’a été apportée ;
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