Fidel Castro une vie
pas et de jeunes médecins affluent, qui feront de jolies carrières dans la Révolution. Au nombre des éléments d’une société implantés dans la zone, il y a… un aumônier : le père Guillermo Sardiñas – monté « avec l’autorisation de son évêque ». Castro se fait une spécialité d’être le parrain de nouveau-nés que baptise le curé. Cela crée des liens avec les familles, qui deviennent des appuis.
Guevara, qui aspirait à abandonner la trousse au profit du fusil, sera bientôt élevé, le premier, à la dignité de « commandant », à la tête de quatre-vingts hommes. Il organisera avec maestria sa zone, la partie orientale de la Sierra Maestra. Il y installera une armurerie, une boulangerie, une cordonnerie, une boucherie, un groupe électrogène et même des abris antiaériens. Il est aussi le premier à vouloir « éduquer les masses », commençant à enseigner lui-même la lecture aux paysans. Puis il publiera un petit journal ronéoté,
Le Cubain libre
, où il développera la question de la réforme agraire.
Face à tant de simple détermination, les batistiens ont le moral en berne. Ils pratiquent l’encerclement à distance, espérant asphyxier les rebelles ou les décourager. Le lieutenantSánchez Mosquera, seigneur de la guerre, cruel et expérimenté, avec cinquante hommes, revient dans les chroniques des chefs révolutionnaires comme si lui seul, en un an et demi, avait été à l’offensive ! Quelques désertions commencent dans les forces armées.
Mais c’est alors que tout va plutôt bien pour les rebelles, vers la mi-1957, que certaines tensions apparaissent : l’omnipotence de Fidel sur un mouvement où, désormais, chacun prend des risques, n’allait plus de soi. Dès le départ, le M-26 s’est caractérisé par son centralisme « léniniste ». Non que la discussion fût absente : mais, pour le
Lider
, la démocratie consiste surtout, selon un mot connu, à faire voter les autres autant qu’il le faut pour qu’ils se rallient à son point de vue ! Pour les marxistes, la fin justifie les moyens, mais il est avéré que certains moyens laissent leur marque par-delà la période d’urgence. Ainsi la « démocratie castriste » était-elle en germe dans le système mis au point pour la phase de combat. Le 7 juillet 1957, País fait savoir à Fidel que, en raison de la confusion régnant au M-26, il a « audacieusement décidé », en liaison avec « Jacinto » (Hart), de « revoir la totalité des structures ». Que les tâches soient à présent clairement assignées, et les décisions prises par un organe collégial. À cette fin, País et Hart ont demandé l’avis et obtenu « l’accord de tous ».
Pour Fidel, c’est un coup d’État ! L’initiative de País met en lumière, et en cause, un flou qui est bien de Fidel dans l’attribution des responsabilités. Elle contrevient surtout à la tendance du
jefe
(chef) à décider de tout. Déjà Franquí, chargé de la propagande, avait estimé qu’au lieu d’un «
caudillo
tout-puissant, sorte de Dieu sur la terre, conquistador ou héros, expression même du passé du pays », devrait surgir une direction collective, « qui obéisse au peuple au lieu de lui commander ». Fidel imagine aussitôt une parade à cette fronde : déborder la Direction nationale du M-26. Pour ce faire, il donne un vif éclat, l’été 1957, à un voyage dans la Sierra de deux personnalités : Raúl Chibás, ex-secrétaire des orthodoxes, et Felipe Pazos, ancien directeur de la Banque nationale, homme honnête et compétent. Le commandant signe avec eux un texte appelant à l’unité contre la dictature. Dans ce
Manifeste de la Sierra
(12 juillet), on lit : « Nous voulons des élections mais à condition qu’ellessoient vraiment libres, démocratiques et impartiales. » À une telle consultation doit présider « un gouvernement provisoire, neutre », choisi par les « institutions civiques » (ordre des médecins, barreau, etc.). Et il n’est pas nécessaire, pour sa formation, que « les partis et institutions se disent révolutionnaires ». Est-on plus bénin !
En proclamant soudain la nécessité de l’unité d’action contre Batista, Fidel désarme ses lieutenants de la ville : comment ces hommes eux-mêmes, bien obligés de composer, pourraient-ils contester, au sein du Mouvement, un leadership de plus en plus reconnu sur le plan national ? Les radicaux de la montagne sont, quant à eux, stupéfaits. Guevara parle,
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