Fidel Castro une vie
Christian Herter, franchit un pas : « Les États-Unis se trouvent de plus en plus contraints de mettre en question la bonne foi du gouvernement cubain lorsqu’il manifeste son désir d’améliorer les relations », dit-il au chargé d’affaires (La Havane a déjà retiré son ambassadeur). La méfiance, présente depuis le début, est devenue attitude officielle. De fait, le 17 mars, douze jours après le discours sur
La Coubre
, Eisenhower approuve une directive secrète donnant le feu vert à un programme hostile en quatre points : constitution d’un gouvernement cubain en exil, propagande en direction de l’île (un puissant émetteur est installé à Swan, au large du Honduras), espionnage et entraînement de commandos en vue d’actions de guérillas. Washington obtient aussi d’un gouvernement-client d’extrême droite, celui du Guatemala, qu’il abrite le nouveau centre logistique des
contras
. Or, fin mars, Castro en sait déjà quelque chose ! Le service de renseignements qu’il a fait monter sous la direction de Ramiro Valdès et de son adjoint le capitaine Manuel Piñeiro, dit « Barberousse », est, en effet, au point ; le « terrible
G dos
» (G2), comme on apprendra à le nommer, ira se perfectionnant, au point de devenir l’un des plus efficaces du monde. Fidel accuse les États-Unis de vouloir refaire le coup du Guatemala en 1954 : l’aide à une invasion de mercenaires contre un gouvernementprogressiste taxé de « communisme ». Cette obsession du précédent guatémaltèque ne cessera plus jamais.
La presse cubaine, cependant, se fait l’écho d’un débat. Guevara a exprimé l’avis que le « quota sucrier » acheté par les États-Unis à prix préférentiel est, en fait, l’instrument de l’« esclavage » de Cuba : il pousse l’île à la monoculture, sans rien lui rapporter puisque le grand voisin bénéficie en échange de préférences douanières pour ses produits, ce qui lui permet de récupérer, et au-delà, ses dollars. Castro, lui, reste prudent : il semble d’abord vouloir préserver le principe du quota – que des parlementaires américains de plus en plus nombreux entendent remettre en cause.
Le Che joue-t-il la politique du pire – d’emblée convaincu que la seule voie pour la Révolution est la rupture avec Washington et un rapprochement corollaire avec le camp socialiste ? Tout le printemps, des missions cubaines se succèdent en Europe de l’Est. Le 7 mai 1960, en pleine polémique soviéto-américaine sur l’affaire d’un avion-espion U-2 abattu sur l’Oural, on annonce la reprise de relations diplomatiques avec Moscou.
Castro ne néglige pas pour autant le tiers-monde. L’Indonésien Soekarno est, le 9 mai, le premier chef d’État à visiter l’île. Deux délégations du FLN algérien en lutte pour l’indépendance sont reçues avec égards : la Révolution avait, dès le départ, annoncé sa sympathie pour cette cause, ce qui, en dépit d’une admiration exprimée par Fidel pour de Gaulle, a rafraîchi les relations de la France avec La Havane. En mai aussi, le président Dorticós fait une ample tournée en Amérique latine ; Szulc y voit le premier acte de la propagande castriste dans le sous-continent.
Raúl, cependant, s’embarque discrètement pour un long voyage en Tchécoslovaquie et en Union soviétique. On sait aujourd’hui que c’est lors de ce séjour de printemps que furent conclus les premiers contrats d’envoi d’armes des pays de l’Est à Cuba. Les Tchèques entraîneront les cinquante premiers pilotes cubains d’avion à réaction. À Moscou, le jeune ministre des Armées reçoit l’assurance de livraisons de matériels sérieux : des tanks, des pièces d’artillerie, des avions Mig. Moscou n’a plus de raison de se restreindre depuis l’échec de la conférence au sommet de Paris, en mai. L’armement léger arriveradès le deuxième semestre : quatorze navires, selon Washington, livreront vingt-huit mille tonnes d’armes. Les engins lourds arriveront, eux, début 1961. Une partie non négligeable de ce matériel vise, pour l’heure, à armer les milices : une preuve de démocratie, explique Fidel, car si nous avions peur du peuple, agirions-nous ainsi ?
Vers la fin du printemps 1960, Núñez Jiménez, directeur de l’Inra, commence lui aussi un séjour à Moscou. C’est pour « affiner » l’accord commercial signé par Mikoyan. Le 18 juin, l’Union soviétique confirme que, pour payer le sucre cubain,
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