Fidel Castro une vie
elle livrera du pétrole à des prix inférieurs au cours mondial. Núñez Jiménez signera d’autres accords à Varsovie, Berlin-Est et Prague.
La Havane annonce alors aux principales compagnies raffinant à Cuba, les américaines Standard Oil et Texaco et l’anglo-hollandaise Shell, qu’elles devront traiter du brut soviétique. Guevara, président de la banque d’État, évoque une loi de Batista selon laquelle priorité doit être donnée au pétrole « du gouvernement ». Les compagnies, elles, invoquent leurs engagements internationaux. Elles se plaignent, en outre, de ne plus recevoir des autorités cubaines les dollars nécessaires au règlement de leurs importations. Et elles annoncent, en accord avec Washington, leur refus de raffiner le pétrole soviétique. Les relations virent à l’exécrable : échange de notes comminatoires, expulsions mutuelles de diplomates… Le 15 juin, le gouvernement cubain nationalise le Hilton (aussitôt rebaptisé Habana Libre) et quelques autres hôtels, symboles d’une présence américaine naguère trop voyante. Le 21, le secrétaire d’État Herter suggère « que les États-Unis cherchent d’autres sources d’approvisionnement » sucrier. Il demande au congrès d’autoriser une diminution du quota cubain.
En quelques jours, on va entrer dans l’irréparable. Le 23 juin, Fidel menace de confisquer les biens de toutes les compagnies américaines. Le 27, la commission de l’Agriculture de la Chambre des représentants vote à l’unanimité le projet introduit par Herter. Le 29, Fidel fait saisir les installations de la Texaco à Santiago. Le 30, les députés américains suivent à l’unanimité leur commission compétente. Le même jour, Cuba saisit les installations de la Shell et d’Esso à La Havane. Le 3 juillet, le Congrès approuve la loi autorisant le président à diminuerle quota sucrier. Dans la nuit du 5 au 6, Fidel annonce que son gouvernement vient d’approuver une « loi » autorisant l’expropriation de biens américains « chaque fois que ce sera conforme à l’intérêt national ». Le 6, avant de partir en vacances, Eisenhower signe le décret réduisant de sept cent cinquante mille tonnes (un quart) le quota sucrier pour 1960. En fait, les États-Unis n’achèteront plus un kilo. Le 4 juillet, cependant, le premier pétrolier soviétique, le
Tchernovitch
, a embouqué la passe de La Havane, chargé de soixante-dix mille barils de brut.
Revolución
, en référence au vote du Congrès américain de la veille, écrit que les Cubains n’oublieront jamais ce jour. Remémorant l’arrivée du navire au pavillon frappé de la faucille et du marteau, la publication considère que ce 4 juillet marque le début de l’indépendance véritable de Cuba – qui coïncide ainsi avec l’
Independence Day
américain !
Les États-Unis ont frappé un coup de massue : le sucre représente, en effet, 80 % des exportations de l’île. La décision américaine fait perdre quatre-vingts millions de dollars à Cuba – 15 % de sa perspective annuelle de devises. « Un coup de poignard », commente le ministre de l’Économie, Regino Boti. De l’autre côté du détroit, la presse libérale (progressiste) elle-même est plutôt favorable à la décision d’Eisenhower : on ne pouvait pas rester « les bras croisés face aux affronts de Fidel Castro ».
Dans ce contexte enflammé éclate un coup de tonnerre. Khrouchtchev, qui vient de voir Raúl, déclare le 9 juillet : « Si nécessaire, notre artillerie peut soutenir le peuple cubain avec le feu de ses fusées. » Il précise qu’il parle « au sens figuré ». Mais la distinction paraît rhétorique. « Monsieur K. » avait déjà brandi la foudre pour stopper l’expédition franco-anglaise de Suez fin 1956. Le lancement, en 1957, du premier Spoutnik soviétique ne peut que stimuler sa pétulance. « Ike » Eisenhower répond : « Les États-Unis ne permettront pas l’installation à Cuba d’un régime dominé par l’Internationale communiste. » Le candidat démocrate à la présidence, John Kennedy, n’est évidemment pas en reste, déclarant qu’on assiste à « la première violation de la doctrine de Monroe depuis un siècle ».
À La Havane, la « sortie » de Khrouchtchev est accueillie avec transport. Ses prudences (« au sens figuré ») disparaissent descommentaires. L’enthousiasme est d’autant plus grand que le secrétaire du PCUS s’est déclaré également disposé à
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