Fiora et le roi de France
touche de près l’y a vu à la cour de la duchesse et
lui a même parlé. Je vous assure qu’il semblait en pleine possession de sa
mémoire, encore qu’il n’ait pas été très loquace, à ce que l’on m’a dit.
– Mais
qui l’a vu ? Cette personne a pu être abusée par une ressemblance.
– Il
aurait fallu pour cela ne pas le connaître. Or, Mme de Schulembourg, qui est la
belle-mère de ma fille Jeanne et la meilleure amie de mon épouse bien que nous
ne soyons plus dans le même camp, connaît Selongey depuis l’enfance. Elle l’a
trouvé pâle et sombre et je dois dire qu’il n’a guère répondu à ses questions.
Il est vrai que la chère dame est assez bavarde, mais je peux vous assurer que
c’était bien lui.
– Philippe
à Bruges ! balbutia Fiora sidérée. C’est invraisemblable...
– Peut-être,
mais cela est ! Mme de Schulembourg a été si fort impressionnée par cette
rencontre qu’elle s’est hâtée de venir à Tournehem pour la conter à mon épouse.
Vous savez qu’il y a trêve, en ce moment, entre le couple Marie-Maximilien et
le roi Louis ? Les rencontres sont donc facilitées... Mais qu’avez-vous ?
Renversée
dans les coussins qui garnissaient son siège, Fiora, le nez pincé, les yeux
clos et les joues pâles, semblait en train de perdre connaissance. En fait,
elle luttait contre deux sentiments contradictoires : la joie et la
colère. La joie pour cette certitude que Philippe était redevenu lui-même, la
colère parce qu’à peine sorti du cauchemar qui avait failli l’ensevelir, il n’avait
rien eu de plus pressé que de courir rejoindre sa précieuse duchesse ! Et
cela signifiait sans doute que jamais il ne reviendrait vers elle et qu’il
avait définitivement tourné la page où s’inscrivait le nom de Fiora...
Une
fraîcheur sur son front l’incita à rouvrir les yeux. Antoine de Bourgogne était
en train de lui bassiner les tempes à l’aide d’une serviette mouillée, étreint
d’une inquiétude si visible qu’elle la fit sourire :
– Grand
merci, Monseigneur, mais ce n’est rien... Rien que la joie ! C’est Dieu en
effet qui m’a fait vous rencontrer.
– Je
le crois aussi, mais buvez donc un peu de ce vin d’Espagne dont j’emporte
toujours quelques flacons lorsque je voyage ! Il vous fera du bien et le
Seigneur n’y verra pas d’inconvénients.
Fiora
but, mais, comme sa colère s’en trouvait augmentée, elle demanda la permission
de se retirer, alléguant un besoin de repos trop naturel. Courtoisement, le
prince la reconduisit jusqu’à sa porte, en la tenant par la main.
– Ferons-nous
route ensemble demain, puisque nous suivons le même chemin ?
Cette
simple question modifia sur-le-champ les projets immédiats de Fiora qui, d’ailleurs,
ne savait plus très bien où elle en était l’instant précédent.
– Non,
Monseigneur, et j’en ai regret, mais je veux me rendre à Bruges. En revanche...
si Votre Seigneurie voulait bien faire raccompagner dame Léonarde jusqu’à mon
manoir de la Rabaudière, je lui en serais infiniment reconnaissante. Elle
souffre de douleurs trop vives pour supporter à nouveau un long voyage...
– Avec
plaisir, mais croyez-vous prudent de vous lancer ainsi sur les grands chemins ?
– Mon
serviteur me suffira comme garde, et je ne compte pas être longtemps absente.
Il fut
plus difficile de faire accepter à Léonarde ce changement de programme. La
vieille demoiselle jeta feux et flammes, adjurant « son agneau » de
renoncer à ce projet insensé, mais elle connaissait trop la jeune femme pour ne
pas savoir que rien ne modifierait sa décision et qu’elle était prête à faire
au besoin le tour de la terre pour mener à bien son projet quelque peu vengeur.
– Vous
êtes contente, mais vous êtes encore plus en colère, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
– C’est
vrai ! Il est grand temps que Philippe se souvienne que j’existe et qu’il
lui faut choisir, et sans plus tarder, entre sa duchesse et moi !
– Il
n’est jamais bon de poser un ultimatum à un homme, surtout de ce caractère.
Vous regrettiez déjà suffisamment le dernier.
– Oui,
mais je croyais encore à son amour...
– Souvenez-vous
de ce que vous m’avez raconté ! Son délire quand il était malade à
Villeneuve !
Fiora
eut un petit sourire triste, vite balayé par une nouvelle flambée de colère :
– Eh
bien, il faut croire que mon souvenir est tout juste bon à peupler
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