Fiora et le roi de France
– de justesse avant la fermeture des portes – ils virent
que la ville était très animée, singulièrement la place du Martroi encombrée de
valets, de chevaux et de chariots à bagages. Le tout débordait de la grande
hôtellerie à l’enseigne de l’Écu de France où Fiora avait espéré descendre.
Visiblement, l’établissement s’efforçait d’accueillir dans ses murs le train d’un
grand seigneur.
– Qu’allons-nous
faire ? dit Fiora. Il ne peut être question d’aller plus loin ce soir.
– Il
n’y a que deux solutions, soupira Léonarde. Chercher une auberge moins
agréable, ou demander l’asile pour la nuit aux moines de l’abbaye du bord de l’eau.
Trouvez-nous cela, Florent, pendant que nous allons faire oraison dans la
petite église que voilà. J’ai trop mal aux reins pour vous suivre dans vos
recherches... Venez-vous, Fiora ?
Celle-ci
ne répondit pas. Elle regardait avec intérêt un page, suivi de deux valets, qui
transportaient l’un une cassette et les autres un coffre en direction de l’Ecu.
Tous trois portaient le tabard aux armes de leur maître et, justement, ces
armes-là, Fiora se souvenait de les avoir vues bien souvent lorsque ses pas
étaient attachés à ceux du Téméraire : c’étaient, frappées de la barre
sénestre signant la bâtardise, les grandes armes de Bourgogne. Elle n’eut pas le
temps de se poser la moindre question à ce sujet : un homme de haute
taille, portant avec élégance et majesté une large cinquantaine, venait d’apparaître,
son chaperon à la main, sortant de l’église et salué très bas par le clergé de
ladite église. Il n’avait qu’à peine changé en deux ans et Fiora, presque
machinalement, mit pied à terre pour le saluer : c’était celui que toute l’Europe
appelait le Grand Bâtard, Antoine de Bourgogne, autrefois le meilleur et le
plus fidèle des chefs de guerre du Téméraire, son demi-frère, pour lequel il
avait combattu jusqu’au bout. Prisonnier après la fatale bataille de Nancy, il
avait très vite retrouvé sa liberté et on le citait comme l’un des plus chauds
partisans du retour de la Bourgogne à la France.
Il
reconnut Fiora du premier coup d’œil et, soudain souriant, s’avança vers elle
les deux mains tendues :
– Madame
de Selongey ? Mais quelle heureuse fortune me vaut de vous rencontrer ici ?
– La
fortune des grands chemins, Monseigneur. Je rentre chez moi, en Touraine après
un séjour à Paris.
– En
Touraine ? Vous ? Ne devriez-vous pas être en Bourgogne ? Ou
alors votre époux s’est-il enfin rallié ?
– Voilà
plus de deux ans que je n’ai vu Philippe, Monseigneur. Le destin s’est plu à
nous séparer...
– Mais
comment cela ?
– C’est
une longue et triste histoire, bien difficile à raconter sur une place
publique...
– Sans
doute... mais pas autour d’une table. Vous me ferez, je l’espère, l’honneur de
souper avec moi ? Il semble que nous ayons bien des choses à nous dire.
– Ce
serait avec un vrai plaisir, Monseigneur, mais nous venons d’arriver dans cette
ville, dame Léonarde, un serviteur et moi-même, et il nous faut trouver un
logement.
– Alors
que j’encombre les meilleurs ? fit-il en riant. La chose peut aisément s’arranger.
L’un de mes officiers sera enchanté de céder sa chambre à deux dames. Quant à
votre valet, il fera comme les miens : il couchera à l’écurie. Non, non !
Vous ne m’échapperez pas. Je vous tiens, je vous garde !
Et,
tandis qu’un écuyer recevait l’ordre de guetter le retour de Florent, Fiora et
Léonarde pénétrèrent dans l’hostellerie où l’une des meilleures chambres leur
fut aussitôt offerte.
– Comme
il est intéressant de posséder de hautes relations ! commenta Léonarde.
Les voyages s’en trouvent agrémentés.
– Tout
dépend des relations. Nous n’avons guère eu à nous louer d’avoir connu le
cardinal della Rovere... et vous n’avez jamais rencontré le pape !
– Ne
croyez pas que je le regrette ! En tout cas, je me demande vraiment ce que
fait ici ce grand seigneur bourguignon.
Fiora
l’apprit une heure plus tard tandis qu’assise en face de lui, elle dégustait un
pâté de brochet, l’un de ses plats préférés. Ils soupaient seuls, servis par l’un
des pages qui prenait les plats à mesure que l’aubergiste les faisait monter et
les portait sur la table. Devinant, en effet, que son invitée pouvait avoir
certaines confidences
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